27.3.05

Notre destin à partir du 19 mars 1944

Journal de Sidonie
Notre destin
Journal pour mes petits-enfants
par
Sidonie
née en Hongrie le 9 juillet 1884
avait 60 ans quand elle commence à écrire dans son cahier

L’original du journal (en hongrois) est en Israel au Musée Holocauste. Cette version a été traduit de Hongrois en Français, par sa petite fille Julie Kertész entre 1993 et 2003.

Une copie dactylographiée avec textes finassant aout 1945 à Jad Washem avec une traduction allemande par Sidonie, déposée en 1968 par sa fille cadet.


Notre destin à partir du 19 mars 1944,
Ce jour-là, les Allemands sont entrés par surprise dans Budapest.

Depuis la guerre, le gouvernement Kallay avait mené un double jeu : malgré sa collaboration avec les Allemands et - grâce à cela - les alliés nous ont surtout menacés de bombarder. Mais aussitôt après l’entrée des Allemands en Hongrie, les croix fléchées (comme les SS hongrois s’appellent) ont pris le pouvoir dans le pays et se sont empressées comme des déments de promulguer des lois de plus en plus draconiennes contre les juifs.

Jour après jour, des contraintes de plus en plus terribles nous sont tombées dessus. Appropriation féroce par l’état de tous les avoirs en outrepassant tous les droits nationaux et internationaux instaurés depuis des siècles, et dès le premier jour, capture des juifs dans les rues et les trains sans aucune raison et en les internant. Diminuation de notre alimentation, et à partir du cinq avril, nous étions en plus obligés de porter l’étoile jaune, de faire nos achats pendant un temps fort réduit, et finalement, ils ont commencé à entasser les juifs de province dans des ghettos.

À Budapest, ils nous ont forcés de déménager en groupe dans certaines maisons sélectionnées par eux et marquées d’étoile jaune et, dans les zones dites “de guerre” on commença rapidement la déportation dans des camps de concentration, la séparation des familles, etc. etc.

Il n’existe pas de plume assez colorée pour décrire, ni peintre qui pourrait esquisser, l’acharnement précipité avec lesquels, les nazis hongrois ont entrepris au pas de charge, la ruine matérielle, corporelle et de l’esprit des juifs, en s’efforçant de dépasser largement celui de leur maître et modèle les nationaux?socialistes allemands !

Ce premier jour, après l'arrivée des allemands en Hongrie, Katinka, la fille aînée de Sidonie arriva avec sa fille de dix ans, Julie, à Budapest, venant de Transylvanie. Dans la nuit profonde, les SS avec les chiens attendaient sur les quais demandant les papiers des arrivants. Après un interminable demi heure, le mari arriva avec des (faux) papiers. Ainsi, Julie, qui traduit ce journal de sa grand-mère en français, échappa avec ses parents et ne fut pas entre ceux internés ou fusillés.


Nos premières grandes angoisses personnelles ont été les événements de Kolozsvàr (Cluj maintenant). En avril 30, à la façon d’un putsch, on a jeté hors de leur foyer, en ne leur donnant que 10-20 minutes, les habitants des immeubles « Pierre et Paul » , ne les laissant prendre que les affaires les plus indispensables (répondant à chaque fois: « das werder Sie nicht mehr brauchen! » (vous n’en aurez plus besoin) et en leur donnant le sentiment qu’on les emmenait probablement pour les achever.
Dans ces immeubles (occupé pour les SS, le jour de leur arrivée d’une façon barbare), habitaient ma fille cadette Anne avec ses deux petites filles, mon frère Hugo, mon frère Charles et leurs familles, avec beaucoup d’autres amis. Après les avoirs conduits par camions dans la cour de la synagogue, avec juste un sac à dos ou une petite valise, on leur laissa finalement le droit d’habiter chez des familles connues ou parentes, à condition de déclarer l’adresse où ils allaient demeurer.

Nous avons réussi à faire emmener ma fille Anne avec ses deux fillettes, avec l’aide d’un bon ami (lieutenant chrétien) à Budapest. En tant que veuve de guerre, elle ne devait pas porter l’étoile. Plus tard, il s’est avéré que son époux avait été « défenseur de la patrie » seulement et qu’elles devaient porter l’étoile elles aussi. Pourtant mon beau-fils est mort en Ukraine, appelé par l’armée.
Beaucoup d’habitants de Kolozsvàr, près de la frontière, ont essayé d’échapper à leur sort, en fuyant vers la Roumanie. Parmi eux, plusieurs, attrapés par la Gestapo, ont été emprisonnés puis, tout comme les autres, entassés dans la cour d’une ancienne briqueterie. 18,000 personnes dans un lieu incroyablement étroit ! De même pour les départements voisins ; on les prit par surprise pendant la nuit et on les rassembla dans la forêt voisine. Une femme arriva portant dans ses bras son enfant, la tête balançante: il était mort…

A la fabrique de brique, on cuisinait difficilement dans des marmites ou des baignoires, (s’auto-nourrissant) et on dormait tellement entassé qu’on ne pouvaient se coucher seulement sur le côté sur les matelas mis dans la boue (du moins ceux que les gendarmes hongrois ont permis par bienveillance d’emporter ). Ensuite, on les a pris en plusieurs transports (cinquante à quatre-vingt personnes dans chaque wagon à bestiaux scellés), mais nous ne pouvions pas deviner où.
Ils ont rassemblé et emmené même les vieillards de l’hospice.
PS
(Elle ajoute ceci après la guerre).
Ils ont rassamblé et emmené même les vieillards de l'hospice. Seuls quelques uns sont restés entre eux dans l’hôpital. Ainsi a échappé ma chère pauvre maman. Aveugle et malade de 84 ans et l’on voulait la déporter ! L’apprenant, elle avala un tas de somnifères et agonisa quatre jours à l’hôpital juif où on l’avait transportée. Après quatre jours, les Allemands voyant qu’on ne pouvait pas le réanimer, ont annoncé : “Die kann shon bleiben” (celle-ci peut rester). Donc grâce à sa détermination héroïque ma mère doit d’être restée. On l’a ramenée seule, délaissée à l’hospice, elle qui était toujours entourée de ses enfants, petits-enfants et arrière petit enfants. Et malgré tout « grand-mère Paula a été confiante, forte, donnant du courage aux autres » nous avait écrit mon frère Charles, avant d’être déporté à son tour avec sa femme et son fils aîné André.

Pendant ce temps à Budapest les décrets les plus déments se sont succédé, déjà on n’avait plus le droit de sortir ou faire des courses plus de deux heures par jour, etc, etc.

Alors notre fils Laci, a réussi à nous mettre (Anna et ses enfants aussi) dans un voyage aventureux, comme faisant partie de la famille Brand, oncle de ma bru Boris. Groupe d’une organisation sioniste conduite de Joël Brand et Rezsö Kasztner. Les Allemands vont nous permettre d’aller - à travers l’Allemagne - jusqu’à un port espagnol et en deux semaines nous pourrions être en Palestine.

Notre première question bien sûr était :
- Et ma fille Katinka avec sa famille ?
- Nous ne pouvons les mettre tous sur la même carte, répondit Laci. Ils vont essayer de se cacher sous des faux noms, peut-être tout cela ne durera pas trop.
- Laci, dit alors mon mari Emil, as-tu pensé que nous nous mettons volontairement, dans les mains de nos plus grands ennemis ?
- Il n’y a pas d’autre solution, a-t-il répondu, notre départ est aidé aussi par le Joint (Bund) de l’Amérique, peut-être réussira-t-il.

Du camp de briqueterie de Kolozsvàr gardé par les allemands, environ 300 à 400 sont déjà arrivés à Budapest, ils étaient dans l’Institut des sourds-muets de la rue Columbus. Á ma grande douleur, pourtant nous avons tout essayé, il n’y avait personne de notre famille parmi eux !

Le jour où nous aurions dû déménager dans la maison désignée par l'étoile, nous sommes entrés nous dans ce camp, nous aussi. C’est difficile de décrire le désarroi des jours précédents pendant qu’on devait démanteler notre foyer, transmettre nos affaires inventoriées aux deux délégués de la maison, et partir ensuite avec juste une à deux valises, devenant dorénavant sans domicile.

Un décret demandait, à chaque famille juive de faire elle-même l’inventaire et de soigneusement noter dessus, ce qu’ielle a emporté avec elle dans la maison désignée, ce qu’elle laissait dans son ancien foyer, ressemblés dans une pièce vide et transmis à deux délégués. Cela m’aurait donné beaucoup de travail nerveusement éprouvant en soi, mais c'est devenu davantage à cause de mon mari. Emil avec son sérieux et respect des lois a voulu appliquer à la dernière lettre les décrets. C’est impossible de décrire la détresse et le crève-cœur pendant qu’on empaquetait et défaisait notre foyer.
A ce moment nous sentions qu’on devenait sans patrie, fuyant dans le monde. Se séparer de toutes nos petites affaires auxquelles nous nous étions habitués pendant de longues années était déchirant. Pour tout dire, un sentiment affreux !

Passant le seuil, les larmes coulaient de nos yeux.

Au camp de Columbus

Dans le camp rue Columbus, des baraques de bois construits par Laci pour pouvoir emmener davantage de personnes de province où nous dormions sur des lits superposés (avec des matelas apportés de nos maisons). Aliments préparé par nos soins, bons mais nourriture de masse (le matin café, bien sûr du faux, midi et soir légumes.)

Nous dormions séparés, les femmes et enfants d’un côté, les hommes de l’autre. Pendant la journée, nous étions ensemble dans le grand parc et nous faisions tout pour subvenir à nos besoins, lavage, repassage, etc. Et malgré tout, nous nous sommes sentis mieux : l’espoir de s’échapper nous réchauffait et nous étions entre nous, nous ne sentions pas autour de nous l’atmosphère de haine horrible nourri sans cesse par la propagande !

Mais nous avions observé aussi chez plusieurs hongrois de la pitié et de honte pour ses décrets incroyablement haineux (les cartes d’alimentation jaunes donnaient le droit à moins ou souvent à rien ; à partir du 1er avril interdiction d'avoir des servantes chrétiens etc.)



À peine une semaine plus tard, le 30 juin, nous sommes partis en rang par cinq, les malades sur des chariots. Nous pouvions emporter deux vêtements, six lingeries et aliments pour 10 à 14 jours. Assis sur le chariot, je me suis rappelé de ceux menés vers la guillotine pendant la Révolution Française.

Au lieu de huit heures, nous sommes arrivés à la gare vers minuit.

Jusqu’à lendemain soir on nous déplaçait d’une voie à l’autre et nous nous sommes retrouvés finalement à la gare Ràkos. Nous étions 1650 dans cette action tolérée par les Allemands aux prix de dur sacrifices. Le plan était qu’on arrive au plus tard après 8 à 10 jours en Espagne et de là en Palestine.

Les wagons partent

Plusieurs jours de progression fort lente s’écoulent, nous sommes finalement arrivés à Mosonmagyarorvàr, à peine à quelques heures de Budapest. On a mis le train de 35 wagons sur une voie de garage et l’on nous a donné le droit de camper. Nous nous nourrissons avec ce que nous avons emporté et avec de la nourriture emportée par les chefs. Avant notre départ à Budapest , nous avons dû confier tout notre argent et nos objets de valeurs aux chefs, étant entendu qu’ils nous le restituaient en Palestine.

Comme on avait placé 40 à 50 personnes dans chaque wagon à bestiaux, à la fois seulement la moitié pouvait se coucher serrée les uns contre les autres. À Mosonmagyarvàr, pendant la journée, quand le temps le permet, nous allons à l’air libre. Pour que le temps passe on enseigne nos enfants par groupes, surtout l’hébreu. Au début, nous avons pu acheter des aliments dans le village voisin, mais rapidement on nous l’a interdit.

Notre arrêt est fort inquiétant. Le camp est de plus en plus bouleversé.

Finalement, le huitième jour, mon fils Laci s’est proposé de rentrer à Budapest, pour avertir nos chefs restés là-bas. Il a des papiers lui permettant de ne pas à porter l’étoile Jaune. Il s’en trouvait quelques autres dans son cas. On ne sait même pas si c’est les Hongrois qui ne nous laissent pas continuer et pourquoi ?

Suit alors une journée extrêmement angoissante. D’un coup, la nouvelle arrive que nous partons. Mon fils n'est nulle part. Sa femme désespérée déclare qu’elle reste avec ses enfants, mais d’après l’avis de tous Boriska serait ainsi menacée davantage et ils pourraient se retrouver encore plus difficilement.

Le train est parti. Boriska s’est donné du temps jusqu’à Komàrom.

À Ovàr, la nouvelle s’était répandue qu’on nous menait à Auschwitz. Un des employés du chemin de fer avait dit en secret que les Hongrois l’avaient décidé et qu'ils avaient envoyé un ordre de cette nature. Quand nous avons demandé "où est-ce", on nous a répondu que c’est l’endroit en Galicie où l’on détruit les déportés en masse avec gaz et autres moyens. Pour nous rassurer, ils nous disent qu’on nous emmène non pas à Auschwitz mais a Auspitz, un camp près de Vienne, où nous resterions seulement deux ou trois jours. C'est alors qu'est née la blague : Quelle est la différence entre Auspitz et Auschwitz? Celle entre Sion et le Cyan.

La route est longue et difficile (elle aurait dû durer seulement deux heures). On est au comble de l'inquiétude, nous les deux vieux, à travers la porte du wagon, regardons si Laci n’apparaît pas sur un des trains passant à Ovàr.

Le train continue doucement sa route et déjà nous sommes arrivés devant Komàrom.

Grande agitation entre les 1600 gens, la nouvelle passe comme un éclair à travers les 35 wagon: Laci est arrivé ! Tous attendant les nouvelles apportées par lui. Elles sont relativement rassurantes. Il a réussi de parler avec les organisateurs et ils suivent notre voyage : « Il y aura encore des difficultés, des problèmes, mais rien de mal ne va pas nous arriver. » Tous ont respiré, soulagés.

A la frontière allemande

Bientôt, on arrive à la frontière allemande. Nous recevons une sorte de soupe à partir d’une grande marmite. Ensuite nous arrivons à Linz et nous restons une journée à la gare. Ma petite fille Mariette est déjà couchée avec la rougeole et beaucoup d’autres enfants aussi.

On nous emmène de la gare en ville, pour nous laver dans un endroit spécialement construit pour cela. Nous sommes partis le matin, environ 800 à 900 femmes et enfants. Pour une raison inconnue, les surveillants rudes prennent nos vêtements enroulés dès le matin, soi disant pour les désinfecter. Les femmes restent nues.

Ils nous font attendre toute nues de matin jusqu’à tard dans l’après-midi. Les corps bouillants émettent de gaz, en plus de la fatigue et de la faim la réponse des surveillants brutaux à nos interrogations "qu’arrive-t-il" nous répondent : “jetzt geht ihr in die Gaskammer” (maintenant vous allez dans la chambre à gaz). Á cela s'ajoute une énorme panique , puisqu’on n’a pas vu ressortir, même après des heures, ceux qui sont déjà entrés, et s’ajoute au sentiment de profond honte.
Finalement, visite médicale brutale en masse.

En prétendant chercher de poux, au début ils ont coupé les cheveux des toutes les femmes et ensuite de quelques-unes qu’ils ont suspecté d'en avoir.

Enfin, vers la fin de l'après-midi, nous sommes entrés dans la salle de douche elle-même : 40 à 50 douches , sous chacune on était plusieurs pour se laver en même temps. 10 minutes pour se laver, le tout, dirigé par des hommes brutaux.

Ce fut un événement horrible.

Bergen-Belsen

Rapidement, en vingt-quatre heures seulement, nous sommes arrivés - non pas près de Vienne, mais près de Hanovre, au camp de Bergen - Belsen, où sont déjà concentrées environ 80.000 personnes. Des Hollandais, des Belges, des Polonais, des Russes, des pauvres juifs étoilés, divers prisonniers marqués d’étoiles diverses.

On vient de nous installer dans de grandes baraques avec des lits superposés sur deux étages. Les cours sont pleines de sable et entourées des fils barbelés, séparées même l’une de l’autre par des espaces vides. 100 à 150 personnes vivent et dorment dans chaque baraque dans un bruit sans fin.

Nous lavons, séchons et faisons la queue pour nous alimenter selon un ordre du jour. Le matin, nous devons faire l’Appel, en rang de 5, quelquefois nous attendons des heures trempés sous la pluie, plusieurs milliers pour que les surveillants nous comptent.


De Vienne, ils ont demandé nos cartes où l’immigration figure et ils ont aussi demandé la liste des familles de Kasztner et Brand, les deux organisateurs. Laci n’a pas réussi à nous inclure, même comme famille plus éloignée.

Quelques-uns, connaissant la Palestine en parlent. On fait des cours de gymnastique, d’anglais et d’hébreux, etc. On essaie de garder courage. Nous sommes peu sûrs de notre sort. Entre temps, les aliments apportés de maison disparaissent avec une vitesse angoissante.

Tous ont peur, pourtant il paraît selon les nouvelles qui arrivent à travers la cuisine, que nous sommes avantagés, entre autres, parce qu’il y a deux femmes de l’hôpital juif de Kolozsvàr cuisinant séparément pour nos malades. Nous avons reçu quelquefois même un peu de saucisson et déjà deux fois de la viande dans le légume.

Le matin est le soir nous recevons du jus noir, amer, à midi à notre grande joie un légume inconnu par nous et difficilement digérable, sans sel et sans goût (queue d’oignon et carotte rave domine dedans). Les enfants et les malades reçoivent par contre du lait, semoule, soupe d’avoine et chacun a trois fois de la margarine, de la confiture de temps en temps. Il paraît que nous sommes privilégiés.

Pour nous, c’est très très difficile à supporter. Beaucoup tombent malade, mal à la gorge et toux, diarrhée et autres maladies. De plus en plus de malades. Les trente à quarante docteurs entre nous sont fort occupés.

La baraque de l'hôpital

Dans la baraque de l’hôpital vivent et dorment environ 130 personnes. Nous vivons dans le bruit sans cesse. Même la nuit dans cette baraque le bruit continue.

Une femme en train d’avorter gémit, se plaint, la doctoresse ne veut pas s’en occuper encore, c’est trop tôt. Les autres malades et les accompagnateurs s’impatientent.

"Il n’y a personne à l’aider ?"

Personne d’autre ne s’étant pas proposé, je descends du mon lit du deuxième étage et dans l’obscurité me cogne sur le bois me cassant deux côtes. Comme accompagnatrice, je n’ai pas le droit à un lit en bas. Telle que je peux dans le noir complet, j’accomplis l’aide le plus primitif sur les malades, j’essaie d'aider la femme gémissant en la massant, avec des compresses, en m’aidant d’une petite lampe de poche.

Nous avons atterri dans cette baraque hôpital, parce que mes petites filles Mariette et Suzanne sont arrivé à Bergen-Belsen avec fièvre et elles gisent ici, leur mère et moi les accompagnons.


Six semaines d’énervement. L’impatience grandissante gagne notre camp.

Enfin arrive pour la deuxième fois Krumai avec qui nos chefs sont tombés d’accord. Pour permettre à 1660 d'entre nous d'échapper en Palestine ou dans un pays neutre, les Allemands ont réclamé énormément d’argent et or, etc. Krumai lit 300 noms d’après une liste faite à Vienne. Ces chanceux, il paraît qu’ils seront transportés en Suisse, si tout se passe bien.

On a réussi à ajouter encore 17 personnes, une partie des organisateurs et parmi eux, la famille de mon fils. Son nom était dans la lettre d’accompagnement, et en se référant à la grave maladie de notre petit-fils Thomas, on a réussi à mettre difficilement leurs noms aussi sur la liste. Mon petit-fils d’un an gravement malade avec grave diarrhée infectieuse et l’on n’a plus aucun médicament pour le soigner et sauver sa vie. Anne et ses deux filles, mon fils et son fils Pierre se sont déjà remis d’une longue rougeole puis des oreillons, diarrhée et une grave infection de poumon. J’ai été malade moi aussi, et mon mari, Emil est malade souvent, il faiblit et maigri de plus en plus.

Les familles de Brand et Kasztner n’ont pas pu partir non plus. Krumai assure que dans six semaines tout le camp partira.


Encore six semaines. Semaines d’attente, de faim, d’inquiétude.

Nos chefs font la liste de ceux qui partiront dans le prochain groupe. On tente de les influencer sans cesse, obtenir protection, on se bat pour être mis sur cette liste. Les sionistes et ceux qui ont donné beaucoup d’argent, ont fait une pétition en soulignant leurs mérites.


Les semaines passent, les unes après les autres et c’est déjà le 2 septembre, Krumai était ici il y a sept semaines, et rien ne bouge, nulle part.

Le départ des 317 personnes a été fort inquiétant et en même temps poignant. Nous avons encore cru que le tour de chacun de nous arriverait. Dans beaucoup des familles, la plupart, ont dû laisser ici certains de leurs membres. Au départ nous étions tous dehors, le groupe est parti en chantant le Hatikva.

Pendant le départ, nous étions tous dehors, à côté de clôtures barbelées de l’enceinte, c’est là que se sont séparés ceux qui partaient et ceux qui restaient.

Je ne pourrais jamais oublier, quand (dans la dernière minute j’ai porté en courant thermos avecdu thé au portillon) et j’ai vu mon cher fils unique fort amaigri : la sueur tombait de son front, ses deux bras tendus droit devant lui et dessus, comme dans un petit lit, le petit a maigri, n’ayant plus que la peau sur les os. Derrière lui avec le petit Pierre, ma bru sanglotait parce que sa mère et sa sœur restaient ici et, après un court adieu, je les ai vus partir.

Jusqu’à leur départ, je me suis tenue héroïquement en disant javrochechot (la bénédiction juive) après eux.

Qui sait comment ils arriveront et si on les emmenait vraiment là où ils le promettent? Qui sait si nous n’échapperons jamais vivants de la gorge de « lion » où nous nous sommes entré de nous mêmes, de peur de la déportation. Qui sait si nous ne les reverrons un jour!

Mes chères Anne, Suzanne et Mariette, qu’on n’a pas réussie à faire libérer d’ici, pourtant c’est pour eux que nous avons démarrés, nous aussi de Budapest.

Je sanglotais appuyée aux barbelés.


Après d’autres semaines, la nouvelle arrive de Budapest : il n’y a pas de déportation là-bas. Les juifs, vivent dans des maisons groupées, mais restent à la maison. Quelques-uns ont reçu des paquets sans importance, mais avec l’écriture des familiers et comme adresse d’envoyeur celle de leurs ancien logement, est rassurant.


Nous souffrons de captivité déjà depuis trois mois.

L’homme s’acclimate miraculeusement. Aujourd’hui déjà on attend avec impatience la nourriture immangeable et les amaigrissements ne sont plus si rapides. Chez certains il stagne même. Notre occupation principale après le travail qu’on nous répartit et le travail autour de la nourriture est de nettoyer autour de nos lits.

Notre avantage dans le camp nommé « Vorzuglager » relativement aux autres camps est que les Allemands ne nous font pas travailler pour eux, ne mettent pas la main sur nous, il n’y a pas de gardiens allemands à l’intérieur de barbelés: ils ne viennent que pendant l’Appel pour nous compter.

Notre responsable, Dr Jozsef Ficher a reçu le titre de « Judenëltester » (le doyen des juifs) et un brassard sur le bras. Quand un de nos hommes de liaisons (parlant en notre nom avec les allemands) a dit : « unser Führer » (notre chef), l’officier Allemand a déclaré : « Führer gibt es nur einene, Unseren Führer ! » (Il n’y a qu’un seul chef, NOTRE Chef).


Le déroulement de notre vie.

Réveil à 6 heures chez les hommes, six heure et demie chez les femmes. Café noir amer ou tisane insipide; jusqu’à sept et demi nettoyage autour des lits. Quelquefois au petit-déjeuner il y a avec le thé du pain avec de la marmelade ou de la margarine, quand il n’y a plus de pain avec oignon ou salé. D’autres personnes nettoient à tour de rôle. (Souvent, l’extermination des poux et des puces.)

L’APPEL. C’est le moment le plus désagréable de notre journée.

Salle de lavage. On nettoie le WC à tour de rôle aussi. Une ou deux fois par semaines nous lavons puis séchons dehors, en surveillant, parce que malheureusement beaucoup de choses « ont changé de propriétaire » pour ne pas employer un mot plus blessant. Le déjeuner est à 11 heures. Depuis deux semaines, celui-ci est un peu amélioré. Ou alors, nous sommes tellement affamés (ce qui est plus probable) que tout commence à nous plaire. Le pain de soldat noir et dur, par exemple, que nous croyions au début ne pas pouvoir avaler, nous parait quelquefois un délice. Nous avons faim toujours. Le dîner est de nouveau seulement un café noir vide, 1-2 fois par semaines une soupe d’orge mondé. Ce dernier nous plaît spécialement.

La petite Mariette, elle a six ans, vient de dire :
- Grand-mère, ici nous avons tant des bonheurs !
- Quelles sont-elles ? je lui demande.
- Mais grand-mère, le matin, nous petit déjeunons, à onze heures on apporte le déjeuner, et le soir quelquefois nous enfants, recevons même de la semoule.

Bien sûr les gens sont de plus en plus nerveux, et la nécessité d’être ensemble tout le temps produit de plus en plus de disputes orageuses. Beaucoup de mauvaises natures sortent, fort peu des belles et des gentils sentiments. D’après une femme spirituelle de Budapest, nous sommes comme les vieilleries au marché aux puces rue Teleki: "seulement le spécialiste réussit à trouver la chose rare de valeur".

Nos chaussures sont tombées en loques, beaucoup ont à peine de vêtements chauds. Ici le climat est toujours humide, pluvieux et presque toujours inamical.

Dans cette grisaille sans espoir, seulement le ciel étale sa splendeur au-dessus de nous, des nuages curieux, quelquefois un soleil ou lune spécialement merveilleux. Très loin, à gauche, on voit une pépinière des sapins.

Toutes les deux semaines on nous conduit en rang par 5 à une douche commune, sous chaque douche 4-5 personnes se bousculent, environ 100 corps nus maigres et affaiblis se prélassent sous la surveillance de soldats allemands pendant dix minutes. Nous sommes quand même heureux du bain, de l’eau chaude autour de nous et nous sortons quelques pas dehors les barbelés. Ceci en lui même est un sentiment apaisant.

C’est seulement en allant au toilettes sans eau (C sans W) que nous rencontrons des arbustes étiques, mais à la manière allemande tout est aligné, sans aucun mauvaise herbes, ils sont eux aussi “rechtsum” (mis en rang). Quand nous passons dans la cour de la salle de douche, un grand chien loup montre ses crocs et nous sentons que si on le lâchait en quelques minutes il nous mettrait en pièces.

Le déjeuner : navet avec carottes ; choux avec pomme de terre ; courgette avec pâte ; bette avec pomme de terre ; queue d’oignon avec un légume inconnu. Deux fois, nous avons même eu quelque chose de vert qu’ils ont nommé épinard. Le rouille est faite avec farine et, à la place du graisse, avec des pommes de terre râpées. Le tout sans avoir été épluché, grossièrement lavé, donc tout contient du sable. De temps en temps quelques uns d'entre nous réussissent aussi à pêcher un petit morceau de viande de la masse compacte de 5 et maintenant déjà 7 décilitres.

Pour nous occuper

Pour nous occuper un peu, le WIZO etc. donne quelques spectacles dans les différentes baraques, ceux qui ont de talent chantent ou récitent des poèmes. Bela Zsolt, l’écrivain célèbre a donné une série conférences intéressants : 1914 à 1939, les deux guerres, etc. Certains donnent des spectacles, des « journaux vivants » avec des blagues actuelles avec le titre « carottes, oh carottes » se plaisantant sur différents problèmes de camps.

Dans la partie ambulance, séparé par une armoire, un petit groupe se rencontre chaque soir dans le noir (Anne aussi), chansons, poèmes, discussions et même, une ou deux fois, Anna et une autre femme ont dansé, éventuellement près d’une bougie. Mais l’utilisation de la bougie est punie, en privant de cigarette (sept par semaine) ce qui est une grave punition, parce qu’elle joue le rôle de monnaie d’échange ; à la place on peut obtenir un surplus de pain ou autre chose de valeur.

Il y a différents services : service de distribution d’aliments, service d’économie, service de discipline, etc.

L’absence des livres m'est aussi un grand manque. Seules certains entre nous en possedons un et l’on peut les obtenir seulement pour une demi-heure et même fort rarement.

Il y a aussi des groupes d'études de l’anglais et de l’hébreu, l’école « obligatoire » (une à deux heures par jour) mais seulement tant qu’on a pu enseigner dehors. Moi aussi j’enseigne des petits poèmes et des chansons français, pour amuser les plus petits en même temps que mes petits-enfants.

On essaye donc tout, pour donner du courage aux masses. Malgré tout, les parents avec leurs enfants, les amis avec leurs amis, l’inconnu avec l’inconnu sont irascibles, querelleurs et nerveux. Mais peut-on s’en étonner ?



Enfin, quelques nouvelles entrent: jusqu’à maintenant nous étions hermétiquement isolés même des nouvelles mondiales. Le 10 août, on nous a distribué des cartes postales sur lesquelles on a pu écrire 25 mots censurés, demandant des paquets.

Jusqu’à maintenant 4 - 5 ont reçu des réponses, une lettre recommandée ou de l’argent qu’ils ont envoyés surtout pour donner signe de vie. D’eux, nous constatons avec joie que ceux qui sont restés à Pest dans des maisons avec étoile n’ont pas été déportés et donc notre peur qu’on les déportera de là est pour le moment sans fondement. Entre temps, on raconte que Kolozsvàr à été occupé par les Russes et les Roumains ensemble.

D’après les journaux allemands, les Roumains ont rompu avec eux (les allemands) et ont changé de camp méchamment (en se raliant aux Russes).



Les fêtes d’automne, nous ont trouvés ici, à Bergen-Belsen.

Nous avons vidé et décoré une des baraques avec des moyens primitifs et je crois que dans aucune grande cathédrale juive, on n’a jamais tenu encore un service plus émouvant. Tous sanglotaient quand un de nos rabbins a entonné « la cohorte en loques » de bon Dieu qui, à travers toutes les épreuves, confiante dans la promesse, attend la délivrance et l’arrivé à la terre promise !

Aucune nouvelle direct de Laci et du groupe parti en Suisse, seulement madame Brand a écrit de Budapest à travers un courrier allemand : dommage que grand-mère n’ai pu partir avec Laci. Donc à Budapest ils ont reçu des nouvelles de leur arrivée. En même temps, quelqu’un de Budapest a envoyé une lettre à sa famille d'ici, écrivant qu’il a reçu des nouvelles de Montreux : « ils habitent dans un hôtel. » M o n t r e u x ! La plus joli endroit de l’Europe ! Au moins si on savait si mon petit Thomas est guéri ?



Octobre 12 1944
Les journées passent toutes pareilles, de jour en jours nous sommes pire du point de vue santé ou nerveux. Le matin, nous attendons 11 heures ou midi, pour pouvoir « déjeuner ». Notre estomac réclame.

Á cause du temps qu’il fait, l’APPEL est toujours le moment le plus pénible. Nous nous rassemblons difficilement 5 par rang, maintenant le plupart de temps sous la pluie froide tombant à verse. Nous attendons souvent même une à deux heures, jusqu’à ce que les gardiens allemands arrivent pour nous compter. Si un seul manque (dû à une erreur ou à la liste des malades mal établie, etc.) ils recommencent à nous compter, encore et encore.

Nous sommes de plus en plus mal préparés à ce climat froid. Tenant compte de tout cela c’est encore étonnant qu’il n’y a pas eu plus de maladies graves, comme il y en a eu au début.



Je croyais, qu’il n’y aurait plus rien de nouveau valant la peine d’être noté sur notre vie. Depuis quelques jours, nous sommes horriblement troublés, nous avons réussi à entrer en contact avec un groupe des femmes entre 18 et 30 ans, internées arrivés récemment à Bergen-Belsen, dirigés ici. Elles sont d’origine de Transylvanie et diverses autres villes de province de la Hongrie. En secret, dans leurs lettres passées à travers la cuisine, elles décrivent, qu’elles sont arrivés pour travailler ici d’Auschwitz. Elles ont des cheveux tondus! N'ont qu'un seul vêtement et sous-vêtement. On les a séparées de leurs enfants et de leurs parents. Elles trouvent ici la nourriture fabuleuse relativement à là bas.

Plusieurs entre elles ont de membres de familles en notre groupe et elles ont réussi à transmettre de nouvelles. La correspondance et extrêmement dangereuse et la plus grande punition attend ceux qu’on découvre. D’après elles, Auschwitz était le plus grand «Vernichtungslager» (camp de concentration), mais il n’existe plus.
(PS. probablement, déjà dans les mains des troupes russes, ces femmes ont dû être évacués avant cela, Sidonie ne pouvait le savoir.)

Il parait, au moins on espère qu’il sera ainsi, que les internés vivants servent davantage. C’est horrible, on a séparé même les tout petits enfants de leurs mères. Même d’après la méchante et dure Schaarführerin, une femme soldat dure, certaines femmes sont dans un état à fendre l’âme et un état nerveux épouvantable.


La fièvre d’échange
est entrée dans le camp. Les prix sont déjà établis. Comme, contre une somme plus grande donnée par nos responsables, on distribue ces dernières semaines, chaque semaine des cigarettes aux fumeurs, ceci est devenue la monnaie d’échange. Les fumeurs passionnés échangent même leur petite portion de pain pour en avoir. On échange la margarine contre marmelade, de la caillebotte avec du pain, des chaussettes chaudes contre des chaussures, des vêtements, du pain.

Il y a même déjà des intermédiaires spéculateurs. Ils essaient maintenant d’ouvrir le « marché noir » obtenir pour que l’échange soit libre. Ils le faisaient même quand c’était défendu. C'est de cette façon que nous avons réussi à trouver quand même pour notre Thomas malade le médicament indispensable à sa survie à l’époque.

Notre situtation s'était empirée

Suisse, Caux sur Montreux, 27 février 1945

Des miracles nous sont arrivés. Nous avons échappé aux griffes des Allemands.

Nous sommes en Suisse, nous savourons l’accueil hospitalier de ce pays merveilleux, dans un hôtel à mille mètres au-dessus de Montreux, cette station internationale, dans un endroit incroyablement beau, d’où, par temps clair, on peut apercevoir non seulement l’aiguille de Midi et les montagnes Alpines, mais même le sommet du Mont Blanc et au-dessous de nous, à 700 mètre le merveilleux Lac Leman de Genève, quelquefois caché par les nuages nageant sous nous, nous font paraître le lac comme s’il était couvert de crème chantilly, d’autre fois les rayons brillants de soleil s’y reflètent et cela rend changeant le tout et merveilleux de nouveau. Incroyablement beau, chaque coucher de soleil est différent avec ses couleurs rousses et roses et toutes les nuances dont ils peignent les nuages au-dessus de nos têtes et inondent de lumière le surface du lac. Tellement incroyablement, féerique comme si c’était un tableau kitsch et non réel.

L’énorme hôtel, construit pour des milliardaires américains, vide pendant la guerre, a des chambres avec une entré, salle de bain, une pièce et des balcons orientés vers le Sud.


Mais prenons en ordre.

J’ai écrit mes dernières notes à Bergen le 12 octobre. A partir de là, notre situation à Bergen-Belsen s’est empiré de jour en jour.

Le désespoir a grandi, les baraques sont devenus plus froides, ouvertes au vent, sans chauffage, le matin à peine pouvions-nous nous décider à nous lever, à laver les pots émaillés et dehors, dans le vent, à nous laver dans l’eau glacée.

Nous avons dû remplacer nos chaussures tombées en loques par des semelles en bois taillés primitivement, qu’on tenait. Pourtant pour cela nous attendait une sévère punition, certains ingénieurs ou vendeurs de bois devenaient des cordonniers, à partir des cordons chapardés ou achetés sur la ration de cigarettes, avec des courroies coupées de sac à dos ; ou alors une vieille boîte de conserve garnie avec des morceaux de mauvaise couverture. Avec une couverture abîmée, on mettait ensemble aussi de pantalons. Pour celles qui avaient des chaussettes chaudes, faites des gants des pull-overs de-tricottés, ou inversement.

Combien d’entre nous n’ont plus réussi même à sortir pour le Zahl Appel, la mise en rang haïe, parce que leurs pieds et mains étaient gelés et n’ont eu ni chaussures, ni manteau.

Moi j’avais, par heureux hasard, mon manteau de fourrure, que ma concierge de rue Columbus m'a envoyé tout suite après notre départ. Il m’a servi énormément dès la première journée à cause du temps de Bergen-Belsen. Le manteau avait été ma couverture, en plus du rude plaid d'ici (et combien de fois je me suis couché en pull-over et pyjama, robe de laines et chaussures chaudes) mais aussitôt que je sortais du lit, je le renommais manteau ou robe, pour qu’à sept heure le matin je puisse sortir dans la cour et emporter à travers les grands trous d’eau vers les latrines se trouvant à 100 mètre, le mauvais pot qu’on avait fait d’un pot de marmelade que remplissait notre famille vers ce qu’on appela W sans C.

Ma petite fille, Suzanne, dans un moment d’inspiration, a versifié pour le plaisir de notre baraque :
Petit pot, grand pot,
Notre petit boîte
Dans lequel fait pipi
Chaque
nuit la fillette.
Dans notre baraque, nous avions 60 enfants, les couches séchaient, les pots utilisés, dégoulinaient, s’écoulaient... puisque notre alimentation était surtout liquide, puis un grand rien, pourtant on ne buvait presque pas d’eau.

Il fallait commencer la nuit très tôt, il n’y avait presque pas de lampe. A partir de novembre on laissa de la lumière jusqu’à 10 heure, mais dans chaque baraque il n’y avait que deux ampoules, le reste de la baraque était dans l’obscurité et, en plus, à cause des alertes de plus en plus fréquentes et quelques fois pour d’autres raisons aussi, très souvent mêmes celles-ci n’étaient pas allumées.

Notre promenade principale était les latrines où l’on se raccompagnait l’un l’autre. Pendant les alertes et les pluies les vêtements lavés, il fallait se dépêcher, les reprendre du fil à l’air libre, si on oubliait le fil dehors, ils disparaissaient. C’était une catastrophe supplémentaire. On le mettait donc pour sécher au-dessus de notre lit si le toit au-dessus du lit en haut était troué.

Plus tard, il n’y avait plus jamais des bas secs sur nos pieds, nos habits moisissaient dans la valise, partout.

Notre pain distribué une fois par semaine disparaissait, la petite portion de beurre, de fromage ou portion de marmelade aussi, à cause de affamés sans scrupule. Ceux qui étaient attrapés quelquefois étaient punis, enfermés seuls en bunker.

C’est encore miraculeux, qu’à côté toute cette misère, de ce doute, de ce désespoir, nous avons essayé quand même de créer miraculeusement une atmosphère gaie dans certaines baraques. Chez nous par exemple nous faisions chanter ceux qui avaient des voix plus agréables, des chansons populaires hongroises, des airs d’opéra, mais surtout des chants yiddish et hébreu. On les écoutait, couchées dans le noir dans notre lit, en écourtant ainsi nos nuits horriblement longues ; deux fois, on a écrit des « journaux vivants ».

A. Zsolt, P. Klein, George Kovàcs et d’autres ont participé avec leur œuvre et leur spectacle. La gentille amie d’Anne, l'actrice Élisabeth Palotai récitait des vers, Ernster, chanteur d’opéra et Hanna Brand, la cousine de ma bru, chantaient des airs d’opéra.

Les baraques se trouvaient côte à côte, mais par cet horrible temps, dans l’obscurité, entre des flaques d’eau en tâtonnant dans le noir, elles paraissaient extrêmement lointaines et à cause de cela quelquefois les artistes invités ont décommandé leurs spectacles.

Le matin, la deuxième route me menait chez Emil dans la baraque voisine, la plupart de temps il restait couché sur le lit, devenant de plus en plus maigre. J’ai préparé de l’eau pour que mon mari se lave et tout, je l’aidais à faire sa toilette, je portais le petit déjeuner dans une gamelle à partir de deux endroits différents, (le mien devant notre baraque), je sortais. En utilisant nos bons nous prenions le petit-déjeuner ensemble. On étalait la marmelade très mince sur le pain mince, on buvait une gorgée de liquide noir et amer nommé café et on le sucrait avec le pain. De ce liquide noir, nous avons reçu un peu plus de temps en temps, avec grande « protection », ce qui nous permettait de nous laver dans l’eau chaud quelquefois. Il y avait énormément de furoncles à guérir, l’absence des vitamines montrait ses dents.

Quelques nouvelles ou fausses nouvelles ont réussi à s’infiltrer (par exemple nous avions déjà entendu que Budapest était tombé en novembre 1944, quand en réalité c’était seulement en février 1945 que le côté Buda a été prise aussi).

L’on se disait déjà que nous allons mourir lentement, affamés, dans une faiblesse terminale ou pourchassés par les allemands « ruchwart konzentrierung », ou alors oubliés là et tués pendant le bombardement, ou peut-être victime des Allemands qui viendraient nous tuer avec fureur, etc. Ses fantaisies funestes ont tombé sur un terrain propice hélas et nous les imaginions possibles. Nous croyions à toutes les choses horribles qui arrivaient les uns après les autres.

Enfin, un jour

Enfin, un jour, grande excitation dans le camp, le Judenältester (le plus âgé des juifs) est appelé par le responsable du camp de Bergen-Belsen et là-bas en présence de deux civils, il déclare que notre camp sera transporté en Suisse dans les 8 jours !

Nous avons pleuré, nous avons ri, on le croyait à peine.

Ensuite arrivent les jours de doutes et d’espoir. Après 8 - 10 - 12 jours, de nouvelles très divergentes transpirent du camp voisin et de la cuisine et à travers les docteurs.

Nouveau désespoir, encore plus de déprime.


Quand déjà nous voyions devant nous que nous allions y rester à jamais, d’un coup, par un beau jour (pluvieux, froid, avec du vent, mais quand même merveilleux, le quatre décembre le matin; nous avons reçu l’ordre : tout le monde doit être à la porte dans une demi-heure. Suit un énorme bruit et agitation, faire les paquets (ceux qui y croyaient l’avaient préparés déjà dès la première semaine). Enfin, à notre bonheur, nous devions vraiment tous faire nos paquets.

La demi-heure s’est prolongée jusqu’au lendemain, mais à midi le cinq décembre, tout le groupe était « reisefertig” (prêt pour le voyage.

Quelques jours avant cette date nous avons reçu de Suisse des paquets de la Croix-Rouge avec des médicaments, des vitamines et du chocolat, etc. avec lequel nous avons un peu repris des forces, tant corporellement que psychologiquement. La dernière semaine, notre alimentation a été améliorée un peu, (en nous demandant aussitôt à faire de la bonne propagande aux Allemands!)

Pour la route, l’Office d’Économat a distribué du pain, qui avait été mis de côté pour les cas graves, et l’après-midi à quatre heures on s’est mis en rangs de cinq pour le dernier appel. Ceci a été le premier appel auquel nous avons participé avec plaisir ! ! !

Hélas, une surprise extrêmement poignante, douloureuse, triste et bouleversante nous attendait. Elle nous a touché encore plus douloureusement personnellement. En plus des couples Dr Weisz et Dr Kertész, punis de ne pas venir avec nous parce qu’on les avait attrapés avoir correspondu avec leurs filles arrivées d’Auschwitz, qui étaient déjà dans un camp voisin, on a appris que la famille de Brand devait aussi rester là.

Ainsi Ida, (la grand-mère de notre Boriska) et sa sœur Hanna, devaient rester de toute façon. Quand la pauvre Hanna, a appris que sa demande de partir avec les autres avait été refusée, de sa bouche a échappé une demande de la laisser dire au revoir à ses sœurs. Comme résultat Ella, la mère de Boriska avec sa fille Meta ont été aussi obligés de rester. Leurs paquets ont été retirés avec difficulté à le dernière minute des tas des autres (contrôlé les jours d’avant par les Allemands).

À peine avons nous pu leur dire au revoir, nous sommes partis donc attristés vers la gare de Bergen-Belsen se trouvant à sept kilomètre du camp en rangées de cinq, sur nos dos dans un sac de dos, les couvertures, aliments et ce qu’il nous fallait sur la route, croulants sous le poids, petits, grands, malades, faibles titubants, presque tous défilant à pied. Nous étions encore sceptiques et nous avons compté avec la possibilité qu’on nous traîne seulement quelque part, dans un autre camp.

La pauvre Ella avec sa fille avait été placée déjà dans le camp voisin avec l’étoile jaune. J’ai pu encore leur passer ma literie. On a aussi réussi à leur passer des aliments et quelque argent. Brand Joël, avait été envoyé de Budapest en Turquie pour discuter de notre sort et il n’a pas réussi à revenir. Il a donné des interviews qui sont parues dans les journaux de Palestine, d’après les Allemands « Shadet uns und schadet sich » (il nous a fait honte, vous a fait honte1). Il est toujours en Turquie probablement. Kasztner Rezsö et son copain travaillant pour notre groupe et les autres juifs, ont dû rester en Allemagne, par contre, sa famille a pu venir avec nous.

La pluie dégringole sur nous, après une route de deux heures, de nouveau une alerte, le vent siffle, nous sommes arrivés à pieds sur les quais. Nous nous asseyons sur nos paquets tremblants de froid et de fatigue et blasés ; ou piétinons sur place.

Nous attendons jusqu’à dix heure du soir que les wagons arrivent. Enfin ils sont devant nous, les wagons (et pas de wagons à bestiaux comme avant). Dans l’obscurité, nous nous poussons à huit ou neuf dans un compartiment. Avec peu d’arrêts, mais mise sur des voies de garage à chaque gare ; nous continuons la route jusqu’à sept le soir. Où allons nous arriver ? Les fenêtres sont hermetiquement fermés, on ne peut rien voir dehors. Sera-ce vraiment en Suisse ?

Notre Suzanne, notre petite fille tousse sans arrêt et elle a une grosse fièvre, déjà pendant des semaines à Bergen-Belsen elle toussait fort. Pas question de dormir, juste nous reposer assis

Nous sommes à la f r o n t i è r e !

Nous arrivons à peine en croire nos yeux que c’est vrai, que nous nous sommes effectivement échappés !


À la première gare Suisse de la frontière, des charmantes femmes de la croix rouge nous attendaient et nous proposaient de leurs voix chaudes, et distribuaient dans une casserole de porcelaine, de la bonne, fine soupe chaude de tapioca.

On nous transfère dans un wagon chauffé, avec de grandes fenêtres, poliment et gentillement, les soldats prenent les enfants dans leurs bras, nous aident à passer et nous partons dans un train chaud et illuminé brillamment - notre route vers Sankt-Gallen paraît un enchantement, il paraît qu’on va nous y mettre dans une caserne pour quelques jours.

Lumière ! Chauffage ! Les surveillants, soldats et officiers sont amicaux, souriants, et nous aident !

Nous arrivons très fatigués, ne comprenant même pas tout à fait notre bonheur, vers quatre heure de matin. Nos paquets sont restés dans le wagon scellé jusqu’à ce qu'ils soient désinfectés, pour ne pas apporter une maladie infectieuse. On nous assure que la route n’est que de dix minutes jusqu’à la caserne où ils vont nous mettre en attendant.

En se traînant, piétinant à cause de nos chaussures de bois et de notre fatigue, nous traversons une partie de la ville, ses rues propres et illuminées et nous arrivons à quatre heures devant une maison de plusieurs étages, les fenêtres illuminées en bas défilent devant nous et nous sommes accueillis dans une salle avec de longues tables dressées avec gentillesse et nous apercevons dessus des tasses, des couverts et des assiettes ! Nous avons le même sentiment que la Blanche Neige du conte arrivant fatigué chez les nains et apercevant la table mise…

À quatre heures de l’aube, une soupe esquise, nourrissante, chaude nous attend et un accueil plein de compassion, dans de grandes salles chauffées de paille fraîche, de couvertures chaudes, de lumière brillante. À la place de « latrines », des W.C., séparés l’un de l’autre, avec du papier de toilette, de l’eau courant dans les salles de lavage, des cuves et de chauffage central.. Cela était un des plus horrible manque à Bergen-Belsen, l'absence de n’importe quelle sorte de papier.

Comme petit-déjeuner un formidable cacao au lait chaud, du pain au goût merveilleux avec beurre et confiture. Le déjeuner savoureux : des soupes excellentes et, ou patates avec une sorte de viande, ou de bons légumes ; beaucoup de pommes comme cadeau d’amour donc de vitamine. Le dîner : pâtes avec fromage ou café au lait avec beurre et confiture, ou de la très bonne semoule de mais avec beurre et même de lait, etc.

Mais le plus important est la gentillesse et la bonté des soldats qui nous gardent, donnant des cadeaux à tout bout de champs à nos enfants, des chocolats, etc. et aussi comment les femmes de croix rouge s’occupent des gens plus affaiblis, en leur proposant en plus thé, lait car hélas, presque tous entre nous sommes encore très faibles.

Comme par réaction se déclenche en nous une énorme fatigue corporelle et d’esprit et pendant plusieurs jours nous gisons avec apathie dans la salle chaude et amicale. Nous regardons rarement par la fenêtre et nous ne profitons que peu du panorama pourtant charmant de la petite ville qui rappelle à ceux qui sont venus de Kolozsvàr, un peu Fellegvàr [Château de Nuage, la colline où j’avais habité avant], mais en beaucoup plus soigné. Une ville fort propre et très illuminée.

Le lendemain midi Laci, notre cher fils ayant appris notre arrivée, a pu venir devant la fenêtre de la caserne et bien sûr, notre première question a été la santé du petit Thomas qui, grâce au Dieu, a vraiment échappé et maintenant il est déjà en bonne voie vers la santéde guérison. Nous avons dû hélas raconter la triste nouvelle au sujet d’Ella et toute la famille de Boris, ma belle-fille qui ont dû rester là-bas.

Nous avons reçu de mon fils des merveilleux cadeaux, tout comme les autres à qui la famille était arrivée avant nous : du chocolat, des pommes, des gâteaux, des cigarettes bonnes pour ceux qui fument. Nous avons appris seulement plus tard que tout cela, même ici, on les achète avec des tickets, mais par contre tout, le thé, le café, le chocolat, sont d’une qualité d’avant-guerre.
1 la vérité nuit, et "fait honte"

Pourquoi seulement nous?

décembre 1944

Par contre le douleur nous frappe de plus en plus comme un coup de fouet, en nous angoissant sans cesse et nous n’arrivons pas à y échapper : pourquoi seulement nous, une quantité tellement infime d’entre nous aréussi cette miraculeuse échappée, qu’y est-t-il arrivé aux autres, nos chers proches? Où souffrent-ils? Les reverrons-nous jamais ?

Laci nous raconte qu’entre temps Budapest est tombé sous la domination des fascistes hongrois, le siège de la ville dure depuis longtemps. Il nous dit, qu’avec quelques amis, ils ont réussi à avoir des passeports de San Salvador et a envoyé des sauf-conduits, après qu’on ait reçu de Budapest des télégrammes en faire crever le cœur. Mantello, le consul Suisse de San Salvador a aidé Laci en se dépensant à sauvegarder autant qu’il a pu. Le sort de juif s’est empiré et aussi ceux de province.

En dehors des 14.000, qui étaient sous protection du consulat Suédois ou Suisse, tous les autres de 14 ans à 60, ont été chassés à pied vers la route de Vienne et ceux qui n’ont pas résisté, pas réussi à continuer, et se sont effondrés, ont été tués et beaucoup d’autres horreurs que nous venons d’apprendre. Il y a eu de longs articles sur Auschwitz et l’horrible et triste nouvelle disant qu’en avril 1944 les chambres de gaz ont fonctionné systématiquement, de nouveau, justement en rapport avec la déportation des juifs hongrois, à la volonté des SS sanguinaires et cruels se vautrant à cœur joie dans l'atrocité et la cruauté.

Le partenaire de Laci a demandé aussi un passeport de San Salvador, pourtant il est un chrétien ancien, mais sa femme est d’origine juive. Notre fille Katinka, son mari Pista et notre nièce Julie ont reçu aussi des passeports. La seule chose que nous savons d’eux est qu’au début du siège de Budapest ils étaient toujours là-bas.

Nous avons appris que maman a bel et bien échappée, comme par miracle et vit à l’hospice des vieux, plusieurs familles ont reçu des nouvelles rassurantes sur son sort.

Après quelques jours passés dans la caserne, on nous conduit dans un fantastique bain public, nous avons pu faire une douche, ensuite les femmes de la Croix Rouge nous ont enveloppés dans des draps réchauffés. Avant les docteurs nous avaient examinés avec soin pour voir si on n’avait pas des poux, sans méchanceté aucune ; nous avons pu ensuite laver nos cheveux avec un shampooing fin et les sécher au sécheur électrique comme chez un coiffeur de première classe.

Ma petite fille Suzanne a été emmenée par la Croix-Rouge àl’hôpital.

Nous avons été transportés dans une salle de gymnastique de la ville. Nous allons partir de là vers un camp permanent.

Ici, déjà pendant le bain, nous avons reçu des chaussures, ceux qui en avaient le plus besoin. Mariette, ayant des chaussures en loques, a reçu des bottes qui appartenaient à la petite fille d’un fourreur originaire de Budapest.

Le soir, nous avons eu une fête de chanukka fantastiquement émouvante dans l’entrée de la salle de gymnastique: le rabbi docteur Rothschild nous tenu un discours, tous, juifs, chrétiens, ont pleuré. Les citoyens et citoyennes de la ville ont distribué des douceurs à tous les enfants, sucreries, chocolat et beaucoup de pommes. La Croix Rouge a donné aux adultes – pour le moment à ceux qui en ont le plus besoin. Ainsi Anne a reçu une paire des chaussures et a pu jeter les semelles de bois en loques.

Nous avons pu lire des journaux dès notre arrivée, des journaux libéraux fantastiques et tas de revues hebdomadaires, ce qui me procurait une joie particulière.

Le lendemain matin, de nouveau nous avons tous reçu un petit-déjeuner avec du pain, fromage et jambon, beaucoup de pommes pour la route et nous sommes parties vers la gare.

Le paysage enneigé, la courte route ensoleillée au matin jusqu’à la gare est devenue inoubliable pour nous. À tout bout de champ on nous arrête et de certaines maisons surgissent des gentils hommes et femmes. Pendant notre marche, ils nous mettent dans notre main : chocolat, pommes, bonbons, et des paquets avec des vêtements… On ne peut pas décrire, combien c’est touchant de sentir autant d’amour autour de nous, après le déferlement de la haine si longtemps vécu.

Suit un merveilleux voyage, dans un wagon avec des grandes fenêtres par lequel on pouvait regarder, assis commodément. Nous avions l’illusion d’être des membres d’un voyage en groupe. Les accompagnatrices, membres de FHD (Frauen Hifs Diest), nous donnaient des chocolats et pommes, du thé déjà pendant notre voyage et elles nous ont aidé à recevoir et distribuer les cadeaux nous attendant à certaines gares ; ( thé chaud, petits pains, gâteaux, fruits). Elles disent que beaucoup des femmes suisses seraient heureuses d’arriver dans l’endroit merveilleux où l’on nous transporte.

À Montreux, nous sommes passés sur un chemin de fer à crémaillère.

Beaucoup de parents nous attendaient à la gare, entre autres Laci et Boriska. De nouveau des cadeaux, thé, chocolat, café, biscuit, gâteaux. Le tout de qualité de paix et pas de produits de substitution auxquels nous étions déshabituée depuis la guerre. Et quel plaisir de pouvoir enfin embrasser ceux qui se sont échappés en août, avec le premier groupe ; pas seulement leur parler à travers la fenêtre de la caserne comme avant.

Suit une route de 35 minutes vers en haut, 700 mètre plus haut. Merveilleux ! Nous sommes arrivés. Nous flânons dans les corridors.

Enfin, on nous met dans des chambres, deux dans un lit ou sur un matelas. Ceci malheureusement -sauf quelques exceptions- est ainsi encore jusqu’à ce jour. Bien sûr, nous nettoyons, lavons, repassons, etc. Seulement la cuisine se fait, avec notre aide par des cuisiniers suisses.

Nous sommes toujours sous la surveillance sévère des soldats. Dans les premières 3 à 4 semaines, personne n'a pu nous rendre visite. Ensuite, nos familles ont reçu le droit de nous voir- après beaucoup de difficultés. Nous recevons toujours des cadeaux dont nous avons besoin, tenant compte de notre corps affaibli et l’alimentation insuffisante d’ici. Et malheureusement, cet hôtel est à peine chauffé.

L’administration est difficile, on nous a donné de l’eau chaude pour nous laver et laver la linge seulement après 5 à 6 semaines. La propreté d’hôtel était faible, mais finalement on a distribué les taches entre nous, organisant bien la main d’œuvre. Nous, de plus de 60 ans, n’avons pas reçu d’autre travail à faire qu’avoir soin de nos propres vêtements et chambres. Anne a lavé les corridors, mais maintenant comme professeur de gymnastique et masseuse pour les malades à l’hôpital en facede nous et enseignant de danse pour préparer des spectacles, elle a reçu une dispense.

Moi, j’ai de quoi faire mais ça fait bien à ma santé. Je commence à avoir de nouveau de forme humaine. Emil, quant à lui, est entré dans l’hôpital se trouvant vis-à-vis, l’alimentation y est meilleure et en plus il y est tranquille: il peut aussi se réjouir d'avoir un lit pour lui seul.

Nous avons reçu la permission

Laci est arrivé, avec Boris et leur petit Pierre, pour nous visiter et nous avons pu aller visiter Montreux avec eux. Nous avons pris spécialement de plaisir à ce déjeuner servi à la façon normale bourgeoise, (comme à l'hôtel Gellért ou Hungaria les meilleurs de Budapest), nous avons vu un film de la période de paix et l’après-midi, un goûter dans une pâtisserie aux panoramas merveilleux nous avons dégusté de délicieux gâteaux.

Nous avons acheté de petites choses qui nous manquaient depuis longtemps. Autrement, nous avons reçu de la Croix-Rouge des choses plus ou moins fatiguées, mais en un état pas trop mauvais. Des chaussures, des pantoufles chaudes, des bas, des sous-vêtements, des pulls, des robes, etc. quelques-uns en ont même reçu plusieurs fois et tout le temps il y a de nouveaux arrivages.

Au début, c’était un sentiment horrible de faire la queue pour recevoir les donations, mais nous nous y sommes habitués aussi à ça. Nous nous rassurons, que nous allons donner nous aussi davantage à ceux qui ont besoin aussitôt que nous le pourrons. Le franc suisse est une valeure très chère même à ceux qui ont de l’argent et l’on donne seulement une petite somme chaque mois, en plus beaucoup de choses ne peut être acheté qu’avec des bons, et nous les réfugiés, nous n’en avons pas reçu.

Pour les fêtes de fin d’année, notre Susanne revient, elle a grossi deux kilos dans l’hôpital et nous apprenons avec délai qu’elle avait eu une pneumonie, nous avons pleuré de peur de ce qui aurait pu lui arriver. Mais dans l’hôpital, ils l’ont bien nourri, elle a été ensemble d’autres enfants, français et allemands, a reçu des cadeaux et s’est sentie bien.

Nous complétons l’alimentation de masse d’ici avec beaucoup de sardines et autres nourritures sans bons, mais hélas, ceux qui n’ont pas d’argent s’en sortent assez difficilement, pourtant différentes institutions leur envoient de l’argent de poche mensuellement.



Au moins, s’il ne ferait pas si froid. Les mains et les pieds des enfants se sont gelés et se sont couverts de plaies, il faut les panser déjà. Mais on a des bonnes couvertures chaudes et nous nous réchauffons sous les couvertures reçues. Hélas, même ici, on se met au lit aussitôt qu’on peut. La Suisse est entourée des états en guerre, il n’a pas beaucoup de charbon ni d’aliments. Mais nous recevons largement des pommes, des patates, des sardines, on sucre le thé avec de la saccharine, on a journellement du café au lait ou du cacao au lait.

Des organismes juifs nous envoient des livres, nous avons une bibliothèque gratuite ainsi et elle est continuellement fournie avec de bons livres français, ce dont j’ai un grand plaisir et quelques autres aussi.

Les enfants, conduits par Anne ont préparé un spectacle de danse pour la fête des arbres qui a eu lieu dans une belle salle de théâtre. Notre Suzanne avec une jolie danse, en tant qu’ange principal du milieu, a réveillé un à un les autres enfants arbres dormants (Mariette a été un petit arbre). Les « vents » ont dansé et les autres arbres aussi sont devenus vivants.

Le journal hebdomadaire israélite de Zurich l’a souligné comme la meilleure de soirée des rescapés de Caux.

Nous avons pu aussi nous réjouir d’un concert. Le chanteur d’opéra Erster accompagné par un violoniste, une celliste et un pianiste. Tous des artistes. Le colonel dirigeant de notre camp les a chaudement félicités, leur assurant de bons sentiments de la Suisse et leur souhaitant du courage pour l’avenir.

Pour Pourim, notre camp a organisé une soirée drôle, puis le lendemain, une soirée sérieuse “Bunter Abend”, à laquelle Anne a participé aussi en dansant sur la musique de Rachmaninov avec le thème : « Libération ». Elle a eu grand succès. Élisabeth Palotai, grande artiste nous a ému avec un poème qu’elle a écrit et récité : « Hommage à la Suisse ». Les dames de FHD et de Croix-Rouge habillées dans des vêtements fortement colorés de tous les cantons de Suisse ont chanté dans les quatre langues du pays des chanson populaires charmantes.



Nous avons enfin reçu une permission et nous avons pu visiter Laci et sa famille pour trois jours. Nous nous sommes sentis formidablement bien à Genève.

Nous y avons plongé dans l’ancien milieu bourgeois à lequel nous étions habitués avant la guerre : chacun avec son propre lit blanc impeccable deux dans une chambre, sonner et l’on nous apportait un petit-déjeuner exquis ou le café d’après-midi, sur les nappes et serviettes de blancheur impeccable, possibilité de prendre un bain et ... d'être ensemble avec les nôtres.

Genève est une merveilleuse ville. L’illumination brillante au soir, avec néon était très intéressante pour nous (qui avons vécu dans le black-out depuis longtemps). Tant les maisons modernes que celles patinées de la Vieille Ville sont fort belles. La ville a un beau musée, leurs collections des montres est spéciale et leur section d’instruments de musique s’étend à des centaines d'années en arrière, ils y exposent des violons et d’autre instruments de tous les pays.

Sur la rive du lac est la Quai Wilson, la partie “ville de bains” est particulièrement attirante. La bibliothèque excellente, il y a même une bibliothèque chinoise séparée et beaucoup d’autres choses intéressantes qu’on espère pouvoir visiter à la prochaine visite.

Emil a été heureux de pouvoir visiter une partie du palais du Peuple Fédéral, autrement fermé aux étrangers, avec un “laissé passer spécial” du secrétaire, comme écrivain économique s’occupant de ces problèmes et il a reçu aussi de documents. Il a créé un lien pour en obtenir aussi à l’avenir.

Anne a déjà fait plusieurs excursions à Montreux et Lausanne. J’ai fait moi aussi, une agréable excursion à Glion avec la famille Citrom et aussi quelques belles promenades à Caux (toutes quelques heures à pied). Tout est très varié ici, chaque tour de chemin plus beau que l’autre. Une connaissance a remarqué qu’en Suisse la différence est seulement « combien de carats » parce que chaque partie de ce pays est comme un bijou. Et c’est vrai !

Caux, mars 30, 1945
Quelques semaines merveilleuses et ensoleillées de printemps. La chaleur d’été presque. Du matin au soir, nous pouvons être dehors, faire un bain de soleil sur nos balcons, nous sommes bien bronzés, tout apparaît beau et bon, oubliées toutes nos difficultés. Notre colonel donne sans trop de problème des permissions et de plus en plus souvent aussi des “laissez - passer” , ainsi la majorité du camp sort tout le temps, nous faisons des excursions dans les environs, surtout à pieds, quelquefois avec le funiculaire : à Montreux, Territ, Vevey, Les Avants, etc. etc.

Caux, avril 22 1945

Il y a eu des semaines merveilleusement belles et j’ai manqué de temps pour consigner mes impressions. Des jours pleins de soleil de printemps que nous avons essayé d'utiliser à plein, les quelques heures qu’on avait en à notre disposition, après avoir accompli nos travaux journaliers (laver, repasser, nettoyer, laver la vaisselle).

Ceux qui sont au-dessous de 60 ans, en plus du service de chaque jour, doivent faire aussi tous les travaux de l’hôtel, mais tout resplendit ici de propreté dorénavant et le camp de rescapés de Caux est considéré comme le mieux tenu quoiqu’il y a un fort pourcentage d'intellectuels, des gens qui ne se sont pas occupés de tout ça auparavant.

En grand partie, c'est dû au bon vouloir et à la compréhension bienveillante du responsable. Hermann Dezsö "commandant" enthousiaste, plein de bonne volonté et aussi débrouillard, notre responsable nouvellement élu après la libération de l’ancien, a réussi à obtenir beaucoup de choses de notre commandant qu’on ne réussissait pas avant. L’alimentation s’est améliorée un peu, les aliments principaux (le lait, le café, le sucre, le beurre, le fromage, les rations de marmelade), sont distribués selon les règles ; on a enfin la possibilité de se laver, de laver, de faire la vaisselle et des endroits pour les effectuer.

Quoique’on ait de fantastiques salles de bains, les robinets des baignoires ont été fermés et nous ne pouvons prendre une douche que deux fois par mois, sinon nous apportons de l’eau chaud avec des seaux pour nous laver et nous nous « baignons » dans les lavabos. Nous avons réussi aussi à obtenir beaucoup de liberté.


Il y a beaucoup de mouvement et d’inquiétude à l’intérieur de la vie d’un camp. De moins en moins de gens restent.

D’abord, on a commencé à mettre les enfants dans des internats. Certains parents donnent leurs enfants dans des internats pour les préparer à aller en Palestine, des institutions juives, tenus par IHUD ou SOMER. Les parents mettent pendant deux ans leurs enfants là pour les éduquer, ils y sont élevés sans frais pour devenir de bons travailleurs enthousiastes futurs en Palestine, on leur donne tout ce qui est le meilleur et ils vivent dans une communauté idéale déjà là, les enfants deviennent des travailleurs intelligents, entiers et aussi de bons juifs.

Après beaucoup de soucis et réflexion Anna voulant partir elle aussi en Palestine, a mis ses filles dans un tel internat. Beaucoup d’anxiété, de crève-cœur (il faut se séparer des enfants pour deux années entières) et beaucoup de travail pour les préparer, finalement, leurs vêtements reçus de la Croix-Rouge beaux au moins beaux ont été réparés par leur mère très habile proprement et soigneusement.

La semaine avant leur départ, Anne ou moi avons emmené les enfants en diverses excursions pour qu’il leur reste des beaux souvenirs de ces temps. J’ai été avec eux à Montreux, nous sommes allé à une pâtisserie et au cinéma ; j’ai été séparément avec Suzanne à Villeneuve, une petite ville charmante à côté de Lac Leman, renommé par ses maisons restées tel quel depuis le XV - XVI - XVII siècle.

Nous nous sommes promenés sur la rivière de lac de Genève et nous avons admiré le château de Chilon, aménagé comme à l’époque, utilisé en grand partie comme musée. Sur l’un des piliers de sa cave Lord Byron a gravé son nom. L’emplacement est très intéressant avec sa construction qui s’étend au-dessus de l’eau. De là nous nous sommes allés plus loin, à Terit puis avec le téléphérique entre des jardins-rochers splendides nous sommes retournés en huit minutes à Glion .


La végétation de Suisse est étonnante.À côté des sapins rigides des grandes montagnes et des mousses, fleurissent, resplendissent les végétations les plus belles de sud. Dès mars, les jardins de rochers flamboyants des fleurs jaunes, blanches et bleus, de violettes, primevère, les lilas, la gentiane et le crocus dans un gazon de velours. Déjà, de vrais champs de narcisses fleurissent. Le magnolia est presque passé, mais sur la route les cerisiers sont en fleurs, des beaux buissons rouge feu et d’autres de blancheur impeccable étalent leur splendeur, les lilas embaument l’air, les arbres fruitiers en espalier ornent les murs, l’arôme, le soleil, la brillance, la nature changeant chaque instant, donnant un panorama enchanteur. Les routes de forêt menant à milles endroits, partout cultivées et pourtant d’une façon qu’ils se placent naturellement dans l'environnage, embellissent le beau donné par la nature de Suisse. Sur les routes bordées de végétation de rive de lac Léman on pourrait même se promener jusqu’à Genève!

Maintenant les bateaux circulent dimanche entre Montreux et Genève. Officiellement nous pouvons aller à Montreux le vendredi après-midi et nous allons à pied souvent aller - retour ; ou à pied jusqu’à Glion ; de là jusqu’à Teritet avec le funiculaire. Teritet - Montreux dix minutes, est peut-être la plus belle promenade sur le bord du lac.

J’ai été aussi à Les Avants, en allant de Caux sur la côte de la montagne, on peut y arriver en une heure et demie. C'est une station balnéaire de la montagne en face, Laci et les autres ont été après leur arrivée pour une courte période, jusqu’à ce qu'ils aient été placés ou libèrés.

Cette route de montagne nous rappelle les plus belles parties de notre Transylvanie, de Borszék et de Tusnad. Partout où nous passons, nous disons convaincus : c’est celle-ci la plus belle!. Tout est fantastiquement beau et varié. Entre la température de Caux et de Montreux il y a une différence de 3 à 4 semaines en végétation, nous pouvons ainsi nous réjouir de tout deux fois!


Avant que nos petits-enfants partent, Emil est passé à l’hôtel Maria en face, une maison de repos pour ceux qui restent encore difficilement sur leurs pieds, là ils reçoivent des soins et sont servis, ils mangent mieux et ont plus de tranquillité. Il n’est venu ici que pour le dîner d’adieu aux enfants, que nous avons organisés sur la table de notre chambre avec des bons plats.

Susanna nous a chanté les chansons sérieuses et gaies, émouvantes et chaudes avec sa voix d’ange, qu’on aimait écouter souvent dans les nuits noires et pleines de détresse de la baraque à Bergen - Belsen, où les 120 personnes demandaient : maintenant chante Suzanne !

Le lendemain, sont partis frais, coquets et élégants, douze enfants du camp. Ils étaient si beaux, si charmants que nous les avions appelés “collection modèle”. On a épinglé sur leur manteau un carton « enfant d’émigration ». Le colonel Currson les a accompagnés à la gare et a demandé qu’on les lui présente un à un. Un photographe d’occasion les a pris avant le départ ensemble mais aussi Anne avec ses filles.

Anne s’est tenue héroïquement, mais je me suis effondrée en pleurs de temps en temps. Pendant une année entière, mes chères petites-filles ont été avec nous tout le temps, elles nous ont rempli la vie. J’avais la mission de rester à côté d’elles, de rester en vie pour elles.

On a réussi, après avoir traversé des temps atroces, à arriver dans le plus bel endroit de l’Europe avec elles, nous avons accompli ce que Sanyi, mon cher gendre disait, en me prenant dans ses bras : il doit partir en guerre, au travail obligatoire ; et ce qu’il n’a pas dit mais sûrement pensé à cela, si quelque chose lui arrivait, il serait rassuré de savoir que nous, pouvons rester à côté de sa femme adorée et ses enfants et les soutenir en tout...

Nous sentions que c’était une étape importante et la proximité de ces deux enfants fantastiques nous a illuminé les temps les plus sombres.

Weggis, où les enfants seront, est à six heures d’ici, sur le bord de lac Vierwaldstädt, pas loin de Luzerne en bateau. Ils habitent dans les hôtels près du lac Beau Rivage et Lyon, ont des chambres fantastiques avec de l’eau froide et chaude, déjà en avril ils nagent et font du canotage. La nourriture est excellente, elles reçoivent de tout suffisamment. Je crois que dans un si bel endroit et avec l’éducation soignée, seulement des parents très riches auraient pu mettre leurs enfants même en paix.

Mariette était déjà attendue de la petite Vera Moskovits, son amie inséparable. Elles se querellaient rarement très sérieusement et faisaient la paix rapidement. Mariette a dicté déjà, en arrivant là : « Je ne croyais pas que Vera va s’occuper que nous soyons ensemble dans une chambre, mais elle s’en est souciée ».

Suzanne Heller a été attendue par Annie Heller, sans être de la même famille en réalité, elles se disent parentes, c’est une fille intelligente et ambitieuse de 14 ans. Elles sont quatre par chambre. Des enfants belges, françaises, polonaises, des roumains et hongrois, etc. Ils jouent de ping-pong, font des excursions et blagues. Ceux de plus de douze ans font aussi du travail de maison. Nous recevons souvent des lettres fabuleuses de leur part.

Caux, 29 avril 1945 l'épée de Damoclès

Je ne sais pas encore combien de temps je pourrais écrire C a u x.

Cette épée de Damoclès, dessus notre tête depuis des mois, commence à s’en rapprocher dangereusement. Nous avons été autorisé à entrer en Suisse que comme “groupe en transit”. Kasztner Rezsö n’a réussi à nous libérer de l’enfer allemand et à faire venir ce groupe en Suisse.
Avec l’aide d’UNRRA, aide matérielle et spirituelle, il avait promis que quand on pourrait circuler, on nous emmeneraient dans un camp de l'ONU ailleurs, puisqu’en Suisse on avait déjà 100.000 réfugiés. Nous le savions bien, mais d’un côté nous espérions aller directement en Palestine ou qu’on va pouvoir retourner à notre ancien domicile sans passer par d’autres endroits intermédiaires.

Nous avons essayé de s’opposer à ce départ. Je sais par exemple que s’ils nous emmènent à Alger, son climat sous tropical n’est pas très bon pour nous, après nos épreuves, nous espérions pouvoir attendre dans un climat tempéré d’Europe centrale jusqu'à ce que les routes s’ouvrent et chacun pourra choisir librement sa demeure.

Dans les réunions de C a m p, des articles de journaux, des télégrammes à Truman le nouveau président du USA, à Churchill, a Steiger, le président de Suisse, aux chefs de UNRA d’ici, de toutes les façons imaginables, nous gesticulons et nous opposons que malgré l’esprit démocratique suisse, au lieu de nous laisser partir librement, on nous déporte encore une fois contre notre volonté. Il paraît maintenant que cette lutte héroïque a capoté à cause de la volonté de la Suisse et la partie américaine de UNRA d’ici. C’est décidé, et probablement la majorité de notre groupe va être mis sur la route déjà à la fin de cette semaine, pour qu’on donne la place à d’autres réfugiés.

Comme la Suisse l'a souligné, après ces cinq mois quand ils nous ont donné 'tout bon et beau et ayant vécu sans souci majeurs' grâce à leur hospitalité. C’est ainsi que je vois les choses en gros.

Beaucoup d’entre nous n’approuvons pas vraiment la dernière décision de nos responsables, proposant pour protester mettre l’étoile Jaune, démontrer que « de Suisse on peut envoyer des rescapés contre leurs volontés, il ne se le permettrait qu’avec des juifs ». Cette démonstration a été suspendue pour le moment puisque beaucoup s’y sont opposés et nous espérons que nous ne serons pas obligés à en arriver là. Ce qu’a réussi à obtenir notre groupe est qu’on n’oblige pas à partir de force les malades graves et ceux qui ont plus de 70 ans.
Le terme boutoir du 2 mai a été prolongé, mais nous devons être prêts à toute éventualité.

Peut-être les événements politiques interviennent favorablement, ouvrant la route pour rentrer chez nous à la maison (?).

À la maison ! Où est-ce chez nous ?

Notre vieux domicile n’existe plus en grand partie, et de toute façon, c’est tout à fait ravagé, dispersé ; la Palestine - où l’on voulait partir - n’ouvre pas encore ses portes, puisque les Anglais ne donnent pas des certificats d’immigration et le juif errant toujours erre… Et à côté de tout ceci, nous sommes ceux qui sont heureux, ceux qui ont échappé !!!


Les troupes américaines, anglaises et russes, sur le chemin de leurs batailles pour détruire l’Allemagne ont trouvé les nôtres, dans les camps libérés, dans un incroyable état, barbarement affamés, torturés à mort, au moins ceux encore vivants. Mon Dieu, qui de nos chers allons nous revoir ?

Cela ne sert à rien que l’expiation est en route, que l’Allemagne est presque entièrement détruite, que 25 % de la population à été victime de la guerre, que Berlin elle même n'est qu'un amas de ruines, que c’est l’agonie finale. Tout ce qui se passe avec l’armée écrasante des russes - anglais - américains, cela ne va pas nous rendre nos chers nôtres! Parmis des juifs d’Europe même pas 10% sont vivants, et même ceux-là sont affaiblis de tous les points de vues, comme nous les « chanceux » sans patrie, regardant vers l’avenir avec 2 - 3 valises.

Et maintenant, d’autres ruptures nous attendent.

Anne n’a pas demandé à rester ici, elle veut surtout que les enfants restent dans leur école, de là en quelques mois elles pourront immigrer en Palestine. Laci, probablement restera ici, parce que leur fils Thomas est arrivé ici dans un état extrêmement grave et, d’après le docteur, le climat d’Alger lui serait périlleux. Nous les vieux, nous avons demandé à ne partir qu’avec le deuxième groupe.

Il est possible que Laci reste, Anna parte avec la première groupe allant vers la Palestine, et nous, les deux vieux, partirons seuls, non, serons emmenés malgré notre volonté dans un endroit inconnu.

L'ONU a des camps divers, en France et en Italie aussi. Et ma fille Katinka avec sa famille est probablement à Kolozsvàr, Cluj, mais depuis mars, nous n’avons pas reçu de réponse à notre télégramme. Au moins, si on savait qu’ils vont bien. Ainsi sont les peu chanceux comme nous, qui grâce au sort, sommes resté en vie avec leurs enfants et petits-enfants.

On serait séparés pour qui sait combien de temps ?

Et de la famille de mes chers frères, combien sont encore en vie ? Où et comment nous rencontrerons nous ? Au moins, si je savais qu’ils ont échappé à l’enfer allemand. Et la pauvre famille des Kertész ? Mariska avec cette charmante petite fille Pousinette ? Les parents adorés de Sanyi, notre gendre, sa mère triste, ses frères ?

(jk: presque treize ans ou plus d'eux, plus avec moi. Hélas, ni les vieux comme les Kertesz, ni les enfants comme Pousinette et autres n'ont pas échappés à Auschwitz).


J’écris ses lignes le 29 avril, la nuit.

J’ai allumé des bougies, demain il y aura deux ans que s’est arrêté le cœur de l’homme torturé et détruit corps et esprit, qu’on a tellement aimé, et Suzanne et Mariette sont demi-orphelines. C’est il y a trois ans que la petite famille a dû se séparer et qu’Anne est seule. Par chance elle a une volonté forte, elle est assidue, elle sait ce qu’elle veut, sa nature profonde est gaie. Lentement la jeunesse et l’envie de vivre sont revenues. Et même si elle pense avec fidélité et adoration à son défunt mari, à qui elle doit les souvenirs les plus heureux de sa vie, elle commencera une nouvelle vie (avec quelqu’un d’autre rencontré dans le camp) et nous espérons beaucoup qu’elle sera de nouveau heureuse. Je crois que c’est aussi ce qu’aurait souhaité notre cher Sanyi…

Paix!

Caux sur Montreux, 8 mai 1945, à 4 heures d’après-midi

L’émission hongroise du radio anglais vient d’annoncer :

« Cette après-midi,
à deux heures les armés Allemands ont déposé les armes sans condition. »

La guerre est ainsi finie.


Paix !

Temps d’été ensoleillé. Lundi. Jour historique !

Enfin, après 5 ans et 8 mois, d'incroyables horreurs , souffrances, tortures barbares, harcèlements, la destruction de l’Europe, et pour nous juifs surtout, venant hélas trop tard, on a mis enfin une fin !

Nos chers déportés amis et familles, reviendront-ils ? Qui est-ce encore en vie? Qui est-ce retournera sans de graves séquelles corporelles, psychologiques? C’est encore une grande marque d’interrogation. Avec cet énorme poids sur notre cœur nous ne pouvons être aussi heureux aussi librement que les autres, mais nous espérons encore revoir plusieurs entre nos aimés, autant que nous avons peur et nous sommes angoissés que non, mais malgré tout ce sont des jours d’énorme signification.

Nous avons souhaité

Nous avons souhaité naturellement, si on ne pouvait pas passer le premier jour de paix avec notre fils, ou alors, qu'au moins on nous permet à lui téléphoner. Ce n’a pas été possible non plus. Mais mon fils a senti le même désir et il nous a écrit, et le 11 mai il est venu nous voir et il nous a consacré toute une journée.

Nous avons parlé de beaucoup des choses, surtout des premiers mois de la dernière année, comment nous avons réussi à échapper, nous avons pensé avec tristesse, avec le cœur assombri à tous qui n’ont pas réussi, malgré tous les efforts, d’entrer dans cette action de secours, paraissant peu sûre à l’époque, à ceux qui sont retenus comme otages à l’enfer de Bergen-Belsen et dont nous n’avons des nouvelles sûres. Nous espérons encore, que les Allemands n’ont pas réussi d’emporter avec eux la mère de Boriska et les autres membres de sa famille et qu’ils sont restés dans les mains des libérateurs. Kasztner les a vus, mais ils étaient très amaigris mais en santé.

Laci nous a raconté qu’il y avait une énorme fête à Genève.

En quelques minutes toutes les maisons ont été décorées, les vitrines aussi, pleins de drapeau partout dans les rues devenues pleines, le monde se réjouissait, criait hurrah, les enfants revenus de l’école ont défilé avec des petits drapeaux. La fête a duré deux jours sans cesse.

Une fontaine illuminé toute la nuit, des jeux d’artifices, chants, joies, buveries. Le matin tout a été vivant, les endroits à se s’amuser et se réjouir, les cafés, les rues plaines des gens comme au carnaval à Nice ou la fin de l’année à Londres.

Bien sûr, on ne parle plus d’Alger, pour le moment notre départ a été retardé, ensuite on a parlé de notre départ vers Italie, à Bari. Une grande opération a commencé pour faire une brèche dans le mur de la coalition qui ne nous laisse pas entrer en Palestine. Nous attendons que les frontières s’ouvrent pour nous aussi. De tout notre cœur, nous voulons désirons revoir le plus tôt possible nos chers dont nous avons été séparés. Je voudrais tellement revoir ma fille Katinka avec sa fille Julie et son mari.

J’ai commencé d’écrire ce journal dans le wagon bringuebalant, numéro 35, le wagon des malades, en pensant déjà alors, comme plus tard en espérant seulement avec peur, pourrais-je leur raconter en joie et le lire avec eux mes notes ? Que nous est-il arrivé depuis que nous nous sommes séparés ! Eux aussi ont vécu des choses horribles sûrement.

Dans un des télégrammes envoyée par Katinka il y a : « Au milieu de luttes nous nous sommes échappés de Buda à Pest sur l’eau glacée de la rivière Danube, avec l’aide du papier de San - Salvador reçu de toi. Merci. »

Mon cher fils Laci a été le salvateur de nous tous. C’est lui qui a envoyé les papiers San - Salvador à travers le secrétaire d’Ambassade Mantello, en les reconnaissant comme des citoyens ; des papiers ressemblants ont été reçus dans les dernières heures aussi par les frères d’Emil et sa sœur Anniko.

Nous avons reçu des télégrammes affolants avec demande SOS. Nous sommes entre ceux qui ont eu de chance, la famille la plus proches, les enfants, les petits-enfants, ma mère, les frères d’Emil et leurs familles n’ont pas été piétinés, écrasés impitoyablement par l’horreur sans pitié, n’a pas été mangée par le monstre allemand, l’atrocité hitlérienne

Mais nous avons aussi beaucoup des pertes.

Mes deux cher frères. Mon plus petit, Karl, que j’aime presque comme mon propre enfant, j’étais déjà grande fille quand il est né et grandi, il passait toutes ses vacances chez nous, ses premiers jours de mariage, pour qui j’ai tellement pleuré quand il est tombé en captivité pendant la première guerre mondiale et qui a été tellement maltraité pendant des années en Sibérie. Hugo, le garçon le plus intelligent et talentueux de notre famille, qui a autant aidé tous ses frères quand ils ont eu besoin, sa femme Irène ma belle sœur aimée et estimé ; Kato sa petite fille, et mon cousin Andràs, ce jeune merveilleux dont on lisait en secret le poème dans le lycée juif, le poème qui disait : « Nous portons fière l’étoile jaune » et tout le lycée a été fier de ce garçon talentueux et beau.

Qui d’entre eux est-il resté en vie, par miracle des miracles ?
Nous avons parlé avec Laci aussi de projets d’avenir. Nous lui avons exprimé notre désir, de pouvoir aller où ils vont eux être. Si possible en Palestine, mais si on ne peut pas avoir des certificats d’immigration pour là?bas, alors nous irons n’importe où ils se décident de s’établir. Nous, les vieux, nous sentons que notre place est à côté de notre fils.

Bien sûr, nous voudrions que Katinka soit avec nous, elle aussi!

Anne, grâce au Dieu après autant de souffrances et des années difficiles a réussi à rétablir son équilibre psychologie et a décidé ce qu’elle fera quand elle a mis ses enfants en « jugend alija » (immigration des jeunes). Elle espère, étant donné que les enfants auront le certificat d’entré en Palestine, elle, mère solitaire, va aussi la recevoir. Elle voit son futur assuré, son métier est excellent, même ici elle s’y est déjà mise avec réussites morales et quelques réussites monétaires. Elle a déjà plusieurs groupes de gymnastique, un service comme masseuse médicale dans l’hôpital. Les docteurs Suisse et aussi ceux de notre groupe lui ont donné des excellents certificats, à côté de son diplôme, jusqu’à on le reconnaît, ils pourraient l’aider là-bas.

Après beaucoup tristesse et d’émotions, dans presque une demi-année de vie de montagne et rayons ultraviolets venus de soleil, d’alimentation meilleur, son hyperthyroïdie commence à disparaître et elle a meilleur appétit. Son esprit, sa gaieté sort de nouveau. C’est une telle joie de l’entendre la main se réveiller en chantant et elle rit beaucoup. Plusieurs hommes s’intéressaient à elle déjà à Bergen-Belsen.

Entre ses deux soupirants le plus persistant, elle a réussi avec difficulté éloigner l’un, Dr. Kertész, pendant que son autre ami fidèle Dr. Weisz Dezsö un intellectuel très cultivé, la suit partout, ils sont ensemble de plus en plus. Ils se promènent font des excursions. Dezsö enseigne l’Anglais, l’Hébreu et le Français que Anna veut apprendre de lui même si ils n’ont pas encore temps à cela. Donc il est un fantastique partenaire continu, de bonne humeur et d’esprit, un compagnon intéressant de tous les points de vues. C’est lui était le professeur de langue de Suzanne à Caux, il aime les deux petites filles et ils se sont bien entendus en blaguant beaucoup ; ce qui a fait fondre le cœur d’Anne. Les fillettes le rappellent dans chacun de leurs lettres.
Elles écrivent si naturelle, gentille. Suzanne écrit souvent déjà comme une petite demoiselle, charmante, séduisante. Franche.

Devenant un poète en herbe elle nous a envoyé la lettre suivante :

« Nous sommes partis hier. C’était très bien. Partis à neuf heure de soir, nous sommes allés très loin. Nous sommes montés sur une montagne où nous y avons campé. Au début, nous avons chanté, puis nous étions silencieux. Nous regardions le ciel étoilé, le merveilleux panorama autour de nous, les montagnes environnantes, le lac et nous écoutions les gazouillements des grillons. Plus tard, nous avons chanté encore un peu puis ils nous ont distribué le chocolat, le caramel et un cake pour chacun. Vers dix heures et demie nous repartis. Nous sommes arrivés avant minuit à la maison. Je suis sortis me laver puis rapidement. Je me suis couchée, parce que j’étais très fatiguée et ensommeillée. »

Elle écrit gentiment et proche de ses problèmes, décrit aussi les blagues et les problèmes avec sa soeur. La petite est vive, pas très attentive. Á la demande de sa mère :
- Bien sûre, tu essayes sérieusement. Puis-je demander ton professeur Lea ?
Mariette répond :
- Je me suis comporté mal en apprentissage, je n’écris pas belle, parce que je vais trop rapidement. Mon cahier n’est pas en ordre. Je voudrais être enfant modèle. Ne demande encore Lea. Mais tu pourrais la demander dorénavant, parce que j’étudierai plus ordonné et je soignerai aussi mieux mes robes. J’ai beaucoup de envie te revoir à Caux. »
Aujourd’hui ma petite pouce a eu sept ans, le 14 mai.

La vie est tumultueux

Caux, 18 mai 1945

Si le dicton disant que la vie est belle quand il est tumultueux est vrai, alors dans notre camp de Caux, cela se confirme, toujours.

À peine passé le danger qu’on nous emporte en Alger, à cause pas seulement de nos protestations et pétitions déposées partout, mais surtout de la paix survenue - nous avons eu une réunion grande et festive pour fêter Kazster Rezsö, le sauveur de ce groupe. Il a raconté beaucoup des détails extrêmement atterrants de la destruction par les Allemands et les Hongrois - qui dépassaient en horreurs et dimension les plus horribles tortures de moyen âge de loin ; dont on parle dorénavant même dans les journaux, la destruction systématique avec moyens modernes et tortures incroyables, auquel a tombé victime 90 % des juifs d’Europe.

Nous sentons que nous ne pouvons supporter cette énorme tristesse, le poids de la douleur. Nous sommes depuis détruits psychologiquement, nous n’arrivons pas à comprendre, percevoir comment nous avons pu échapper, quelques-uns, ce petit pourcentage.

Caux, 4 juin
Pour la journée d’aujourd’hui notre départ était décidé malgré tout. Á la demande spéciale des Suisses, les Américains et ONU ont choisi ce jour-ci-ci-ci pour nous transporter d’ici jusqu’on obtienne des visas d’entrés. Ils veulent nous prendre à Tunis.

De nouveau habiter dans des baraques, même si sous hospices plus amicaux et moins dangereux, partir, être jetés ici et là, nous en frémissons tous, d’autant plus qu’en Afrique nous attend le contraire de froid physique effectif : pour les ceux d’Europe centrale de la canicule difficilement supportable. À cela s’ajoute, que nous avons demandé le droit d’entrer en Palestine à partir de Suisse pour le groupe de Bergen-Belsen et il ne peut pas être remis dans une autre payse ou par quelqu’un d’autre. Et si on peut, c’est après un très long et difficile procédure et pas sûre.

1er juillet
Que pouvaient faire les membres « république » de Caux ? Ils ont décidé de faire du r é s i s t e n c e p a s s i v e avec l’accord de notre président plein de bonne volonté, mais avec des gestes et des façons un peu trop Europe Central. « Nous ne partons pas d’ici dans un lieu de transit. Nous nous enfermons dans nos chambres, s’il arrive à cela. »

Les dames de FHD ont passé de chambre en chambre nous disant : « S’il vous plaît, faites vos bagages jusqu’à demain et qu’ils soient prêts pour contrôle à dix heure dans la salle de bas. »

Nous avons tous répondu : « Nous n’allons pas faire les bagages. »

Certains ont affiché sur le mur de salle à manger des dessins et des affiches blessants pour les Suisses (nos chefs les ont enlevés rapidement, mais les Suisses l’ont lu et se sont sentis extrêmement fâchés). Ce qui a été le couronnement de notre attitude inamicale, nos hôtes Suisse ont eu assez et ils ont décidé la dernière minute - quand nous avons réellement reçu 700 certificats - prouvant que nous ne voulons pas abuser de droit d’hôte, que s’ils ne peuvent pas nous transférer ni à Alger, ni à Bari aussitôt, ils nous mettront dans un camp de punition Ils mettront nos chefs, Dezsö Hermann et les autres dans un camp séparé, et nous dans des baraques à Monthey. De nouveau, nous dormons sur le bois, à côté d’une sucrerie hors d’usage, tout près de dépotoir et de l’écoulement de l’eau sale.

Ils ont demandé la démission d’Hermann. Dr Weiss nommé à sa place, après quelques jours très durs, avec ses mains chanceux et des moyens tranquilles et diplomatie, en parlant bien des langues, a réussi très adroitement de résoudre tous les problèmes. Monthey est tombé comme lieu de séjour, mais nos anciens chefs ont été déplacés, éloignés de nous.

Nous avons été divisés en deux groupes : les deux sont dorénavant dans un hôtel agréable. Nous, 107 qui avons demandé d’immigrer en Palestine dans un petit hôtel à “Les Avants” et ceux qui vont retourner en Hongrie ou en Roumanie sont à Bristol, un grand et bel hôtel de Montreux.



Les Avants est comme une agréable ville de bain autrichien. Outre l’Hôtel de Sport où nous habitons, il y a la Grand Hôtel, nombreuses pensions et maisons de villégiature et puis les habitants de village. Vis-à-vis de nous, une excellente pâtisserie, des boutiques, une coiffure.

À gauche, au-dessus de nous, un panorama et un hôtel San Loup, un funiculaire y conduit, mais nous sommes allés jusqu’ici toujours à pied (3/4 d’heures une agréable route en serpentine ou sur les marches 20 minutes). D’en haut, un panorama tout autour est ouvert à tous et la place aussi. D’un côté on aperçoit le lac de Genève et le soleil reste deux heures plus tard qu’ici, à Les Avants, nous avons de soleil de matin et après-midi à six le soleil est déjà caché derrière les montagnes. Un des avantages de ce climat est qu’il n’est pas trop chaud.

Notre petit groupe s’est réchauffé de plus en plus. Nous avons fait connaissance et aimés ceux que nous ne voyons que de loin dans le grand groupe. Irsai Pista, un artiste graphiste, a été très gentille avec moi. Je lui avais demandé à Caux de dessiner une couverture pour ce journal, depuis que nous sommes ici, il m’a aidé lui-même, et ainsi, ma chère Katinka, ce cahier a reçu cette belle couverture crée avec un goût artistique.

J’ai essayé de conserver dans ce cahier les souvenirs graves de notre vie de l’année, ses péripéties qui essayent d’immortaliser pour v o u s, mes enfants et petits-enfants. Irsai a utilisé le premier mot de mon journal, a ajouté une étoile juif, des barbelés et un emblème SS pour rappeler nos sorts commencés horriblement. Sur le dernier page de ce cahier blanc bleu, il a mis CAUX et un drapeau Suisse, rappelant que nous avons échappé.




Irsai, graphiste, a fait déjà des dessins à Bergen-Belsen, il a croqué la vie de camp en neuf images et il a imprimé à partir de là des cartes postales. (jk: J'ai vais les ajouter à ce blog)
Bergen Belsen, illustrations from 1945
Presque tous avons acheté des cartes faites par lui, il a recoloré personnellement les miens, sachant qu’ils arriveront dans ce journal : les déboires, les rêves, avec 9 images . Je les ai tous collés dans mon journal.

En les regardant j’ai revécu de nouveau :

(1) Les longues nuits, couché les uns au-dessus de l’autre, dans les valises sous le lit des souris ont fait leurs nids, tout est devenu humide dedans et moisie et le ciel étoilé, les barbelés que nous avons aperçu ceux qui sont entre nous, les 120 de la baraque qui avait le lit le plus près. C’était un espace pas tout à fait de 2 m2 qui était notre logement. Des lits d’en haut, de temps en temps tombaient sur notre visage un poux, n’importe combien nous sortions nos lits, n’importe combien de fois nous brûlions - quand il pleuvait (et quand il ne pleuvait pas ?) on mettait sans résultat une cuvette, (ceux, heureux, qui en avaient) ou autres choses pour se protéger, tout devenait humide !

(2) j’ai assez écrit de notre baraque plein des enfants.

2 bis. Les baraques de l’hôpital utilisé pendant les fêtes comme église. J’ai déjà écrit sur lui. C’est ici qu’étaient mises, sur le mur rempli des armoires, les denrées à distribuer que nous regardions tous avec convoitise. D’ici était distribué malheureusement avec des protections, le peu de nourriture que nous attendions affamés et tremblants pour soulager notre faim. D’ici disparaissait de temps en temps un pain, et la nuit, dans l’hôpital on se réveillait : quelqu’un marche dans l’office d’alimentation. C’est ici qu’on a organisé, dans un bureau séparé quelques après-midi inoubliables de récitation de poèmes par le Wico et ici avait une partie séparé le « Judenaltester » et sa famille, et le président adjoint.

Il est arrivé qu’un de leur visiteur a reçu là du « vrai thé avec de vrai sucre » et c’était un évènement envié par nous les autres. Pendant les fêtes, cette baraque a été transformée en église avec une menora dessinée et coupée de papier, et avec l’aide d’un tapie coloré de motifs persans. C’étaient des offices tristes, émus. Ils resteront toujours dans notre mémoire. Déjà, en plus de nous, qu’on croyait déjà que nous périrons tous là, nous pleurions nos chers déportés, entre lesquels, hélas, on reverrait tellement peu et qu’on a détruit avec une telle cruauté raffinée, ces barbares pires que les plus scélérats des malfaiteurs.

(3) Le chaudron. La nourriture de chaudron. Le 5 à 7 dl quelque chose qu’on avalait avidement et qui ne contenait la plupart de temps que de panais et non la carotte dessiné comme symbole par Irsai. On recevait d’habitude de bête. Quand il arrivait dedans quelques pommes de terres ou courge, il était déjà considéré comme un repas excellent. Les jeunes hommes entre 16 et 25 ans ont ramassé des restes et pour cela ils ont reçu, par amitié, de la jaunisse. Dois-je ajouter que déjà demi-heure après le déjeuner, nous voyons des étoiles tellement nous avions faim !

(4) La tour de contrôle de patrouille illuminait seulement de temps en temps avec son réflecteur sur nous dans la noir profond, est-ce la patrouille nous espionne ? Derrière le tour, voit-on l’immeuble de bain ? Peut-être le crématorium ?

(5) Notre pain de tous les jours. On nous distribuait lundi pour quatre jours, il fallait le diviser pour ces quatre jours. Mais déjà le lendemain notre horrible faim a vaincu notre sens d’organisation et il n’en restait que le quart à peine, pour le troisième jour au maximum un petit morceau mince pour le petit-déjeuner, et si nous sommes riches, nous le dégustons en même temps que le café avec de l’oignon, mais bien sûr, le quatrième jour, on ne regardait que les étoiles dans notre faim.

(6) Le mode enfantin de Bergen-Belsen en hiver 1944 ! Les petits partis seulement avec des robes d’été, on avait échangé, pour une assiette de légumes, une portion de pain, des morceaux de couvertures pour leur confectionner de pantalons longs (tous nous l’utilisions contre le froid humide) des haillons de différentes couleurs et sur les pieds de chaussures en loques, des morceaux de bois artistiques. Même ainsi il y avait plus de pieds gelés.

(7). Dans la nuit profonde nos désirs - apparaissant de plus en plus irréalisable, l’image d’un bateau qui nous « sauve », qui nous emporterait d’ici et nous libérerait, nous emporterait à la Terre Promis, en Palestine...