27.3.05

Notre destin à partir du 19 mars 1944

Journal de Sidonie
Notre destin
Journal pour mes petits-enfants
par
Sidonie
née en Hongrie le 9 juillet 1884
avait 60 ans quand elle commence à écrire dans son cahier

L’original du journal (en hongrois) est en Israel au Musée Holocauste. Cette version a été traduit de Hongrois en Français, par sa petite fille Julie Kertész entre 1993 et 2003.

Une copie dactylographiée avec textes finassant aout 1945 à Jad Washem avec une traduction allemande par Sidonie, déposée en 1968 par sa fille cadet.


Notre destin à partir du 19 mars 1944,
Ce jour-là, les Allemands sont entrés par surprise dans Budapest.

Depuis la guerre, le gouvernement Kallay avait mené un double jeu : malgré sa collaboration avec les Allemands et - grâce à cela - les alliés nous ont surtout menacés de bombarder. Mais aussitôt après l’entrée des Allemands en Hongrie, les croix fléchées (comme les SS hongrois s’appellent) ont pris le pouvoir dans le pays et se sont empressées comme des déments de promulguer des lois de plus en plus draconiennes contre les juifs.

Jour après jour, des contraintes de plus en plus terribles nous sont tombées dessus. Appropriation féroce par l’état de tous les avoirs en outrepassant tous les droits nationaux et internationaux instaurés depuis des siècles, et dès le premier jour, capture des juifs dans les rues et les trains sans aucune raison et en les internant. Diminuation de notre alimentation, et à partir du cinq avril, nous étions en plus obligés de porter l’étoile jaune, de faire nos achats pendant un temps fort réduit, et finalement, ils ont commencé à entasser les juifs de province dans des ghettos.

À Budapest, ils nous ont forcés de déménager en groupe dans certaines maisons sélectionnées par eux et marquées d’étoile jaune et, dans les zones dites “de guerre” on commença rapidement la déportation dans des camps de concentration, la séparation des familles, etc. etc.

Il n’existe pas de plume assez colorée pour décrire, ni peintre qui pourrait esquisser, l’acharnement précipité avec lesquels, les nazis hongrois ont entrepris au pas de charge, la ruine matérielle, corporelle et de l’esprit des juifs, en s’efforçant de dépasser largement celui de leur maître et modèle les nationaux?socialistes allemands !

Ce premier jour, après l'arrivée des allemands en Hongrie, Katinka, la fille aînée de Sidonie arriva avec sa fille de dix ans, Julie, à Budapest, venant de Transylvanie. Dans la nuit profonde, les SS avec les chiens attendaient sur les quais demandant les papiers des arrivants. Après un interminable demi heure, le mari arriva avec des (faux) papiers. Ainsi, Julie, qui traduit ce journal de sa grand-mère en français, échappa avec ses parents et ne fut pas entre ceux internés ou fusillés.


Nos premières grandes angoisses personnelles ont été les événements de Kolozsvàr (Cluj maintenant). En avril 30, à la façon d’un putsch, on a jeté hors de leur foyer, en ne leur donnant que 10-20 minutes, les habitants des immeubles « Pierre et Paul » , ne les laissant prendre que les affaires les plus indispensables (répondant à chaque fois: « das werder Sie nicht mehr brauchen! » (vous n’en aurez plus besoin) et en leur donnant le sentiment qu’on les emmenait probablement pour les achever.
Dans ces immeubles (occupé pour les SS, le jour de leur arrivée d’une façon barbare), habitaient ma fille cadette Anne avec ses deux petites filles, mon frère Hugo, mon frère Charles et leurs familles, avec beaucoup d’autres amis. Après les avoirs conduits par camions dans la cour de la synagogue, avec juste un sac à dos ou une petite valise, on leur laissa finalement le droit d’habiter chez des familles connues ou parentes, à condition de déclarer l’adresse où ils allaient demeurer.

Nous avons réussi à faire emmener ma fille Anne avec ses deux fillettes, avec l’aide d’un bon ami (lieutenant chrétien) à Budapest. En tant que veuve de guerre, elle ne devait pas porter l’étoile. Plus tard, il s’est avéré que son époux avait été « défenseur de la patrie » seulement et qu’elles devaient porter l’étoile elles aussi. Pourtant mon beau-fils est mort en Ukraine, appelé par l’armée.
Beaucoup d’habitants de Kolozsvàr, près de la frontière, ont essayé d’échapper à leur sort, en fuyant vers la Roumanie. Parmi eux, plusieurs, attrapés par la Gestapo, ont été emprisonnés puis, tout comme les autres, entassés dans la cour d’une ancienne briqueterie. 18,000 personnes dans un lieu incroyablement étroit ! De même pour les départements voisins ; on les prit par surprise pendant la nuit et on les rassembla dans la forêt voisine. Une femme arriva portant dans ses bras son enfant, la tête balançante: il était mort…

A la fabrique de brique, on cuisinait difficilement dans des marmites ou des baignoires, (s’auto-nourrissant) et on dormait tellement entassé qu’on ne pouvaient se coucher seulement sur le côté sur les matelas mis dans la boue (du moins ceux que les gendarmes hongrois ont permis par bienveillance d’emporter ). Ensuite, on les a pris en plusieurs transports (cinquante à quatre-vingt personnes dans chaque wagon à bestiaux scellés), mais nous ne pouvions pas deviner où.
Ils ont rassemblé et emmené même les vieillards de l’hospice.
PS
(Elle ajoute ceci après la guerre).
Ils ont rassamblé et emmené même les vieillards de l'hospice. Seuls quelques uns sont restés entre eux dans l’hôpital. Ainsi a échappé ma chère pauvre maman. Aveugle et malade de 84 ans et l’on voulait la déporter ! L’apprenant, elle avala un tas de somnifères et agonisa quatre jours à l’hôpital juif où on l’avait transportée. Après quatre jours, les Allemands voyant qu’on ne pouvait pas le réanimer, ont annoncé : “Die kann shon bleiben” (celle-ci peut rester). Donc grâce à sa détermination héroïque ma mère doit d’être restée. On l’a ramenée seule, délaissée à l’hospice, elle qui était toujours entourée de ses enfants, petits-enfants et arrière petit enfants. Et malgré tout « grand-mère Paula a été confiante, forte, donnant du courage aux autres » nous avait écrit mon frère Charles, avant d’être déporté à son tour avec sa femme et son fils aîné André.

Pendant ce temps à Budapest les décrets les plus déments se sont succédé, déjà on n’avait plus le droit de sortir ou faire des courses plus de deux heures par jour, etc, etc.

Alors notre fils Laci, a réussi à nous mettre (Anna et ses enfants aussi) dans un voyage aventureux, comme faisant partie de la famille Brand, oncle de ma bru Boris. Groupe d’une organisation sioniste conduite de Joël Brand et Rezsö Kasztner. Les Allemands vont nous permettre d’aller - à travers l’Allemagne - jusqu’à un port espagnol et en deux semaines nous pourrions être en Palestine.

Notre première question bien sûr était :
- Et ma fille Katinka avec sa famille ?
- Nous ne pouvons les mettre tous sur la même carte, répondit Laci. Ils vont essayer de se cacher sous des faux noms, peut-être tout cela ne durera pas trop.
- Laci, dit alors mon mari Emil, as-tu pensé que nous nous mettons volontairement, dans les mains de nos plus grands ennemis ?
- Il n’y a pas d’autre solution, a-t-il répondu, notre départ est aidé aussi par le Joint (Bund) de l’Amérique, peut-être réussira-t-il.

Du camp de briqueterie de Kolozsvàr gardé par les allemands, environ 300 à 400 sont déjà arrivés à Budapest, ils étaient dans l’Institut des sourds-muets de la rue Columbus. Á ma grande douleur, pourtant nous avons tout essayé, il n’y avait personne de notre famille parmi eux !

Le jour où nous aurions dû déménager dans la maison désignée par l'étoile, nous sommes entrés nous dans ce camp, nous aussi. C’est difficile de décrire le désarroi des jours précédents pendant qu’on devait démanteler notre foyer, transmettre nos affaires inventoriées aux deux délégués de la maison, et partir ensuite avec juste une à deux valises, devenant dorénavant sans domicile.

Un décret demandait, à chaque famille juive de faire elle-même l’inventaire et de soigneusement noter dessus, ce qu’ielle a emporté avec elle dans la maison désignée, ce qu’elle laissait dans son ancien foyer, ressemblés dans une pièce vide et transmis à deux délégués. Cela m’aurait donné beaucoup de travail nerveusement éprouvant en soi, mais c'est devenu davantage à cause de mon mari. Emil avec son sérieux et respect des lois a voulu appliquer à la dernière lettre les décrets. C’est impossible de décrire la détresse et le crève-cœur pendant qu’on empaquetait et défaisait notre foyer.
A ce moment nous sentions qu’on devenait sans patrie, fuyant dans le monde. Se séparer de toutes nos petites affaires auxquelles nous nous étions habitués pendant de longues années était déchirant. Pour tout dire, un sentiment affreux !

Passant le seuil, les larmes coulaient de nos yeux.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour!
Nous sommes 3 lycéennes de mâcon (71)! et dans le cadre scolaire nous avons une épreuve pour le BAC qui sont Les TPE (travaux personnels encadrés) Notre sujet est mémoire/ Memoires! Et nous travaillons particulièrement sur le journal intime. Nous sommes tombées sur votre page web et nous aimerions vous poser des questions au sujet de votre envie d'écrire votre vie sur internet et depuis 60ans. Merci de nous répondre à cette adresse circagirllaura@hotmail.com
Nous espèrons que vous pourrez nous aider. Merci d'avance.
Laura, Sandra et Laura.

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit…

Avec plaisir!

Brigetoun a dit…

fascinant de lire les deux journaux. Et les détails de ce que raporte Sidonie (le joli nom) sontmalgré tout ce qu'on a pu lire et entendre des découvertes

Anonyme a dit…

c'est haurissant de voir à quel point ils voulaient vous démunir de la moindre chose ...matérielles réellement, pour mieux vous atteindre moralement.....
Tout un travail de fond .... pour mieux assoir leur force.
Cela fait froid dans le dos ....

Et dire que cela arrive encore, dans certaines partie du monde ... ailleurs, pour d'autres raisons ...
Mais toujours le même genre d'hommes ......

sophos