27.3.05

Notre situtation s'était empirée

Suisse, Caux sur Montreux, 27 février 1945

Des miracles nous sont arrivés. Nous avons échappé aux griffes des Allemands.

Nous sommes en Suisse, nous savourons l’accueil hospitalier de ce pays merveilleux, dans un hôtel à mille mètres au-dessus de Montreux, cette station internationale, dans un endroit incroyablement beau, d’où, par temps clair, on peut apercevoir non seulement l’aiguille de Midi et les montagnes Alpines, mais même le sommet du Mont Blanc et au-dessous de nous, à 700 mètre le merveilleux Lac Leman de Genève, quelquefois caché par les nuages nageant sous nous, nous font paraître le lac comme s’il était couvert de crème chantilly, d’autre fois les rayons brillants de soleil s’y reflètent et cela rend changeant le tout et merveilleux de nouveau. Incroyablement beau, chaque coucher de soleil est différent avec ses couleurs rousses et roses et toutes les nuances dont ils peignent les nuages au-dessus de nos têtes et inondent de lumière le surface du lac. Tellement incroyablement, féerique comme si c’était un tableau kitsch et non réel.

L’énorme hôtel, construit pour des milliardaires américains, vide pendant la guerre, a des chambres avec une entré, salle de bain, une pièce et des balcons orientés vers le Sud.


Mais prenons en ordre.

J’ai écrit mes dernières notes à Bergen le 12 octobre. A partir de là, notre situation à Bergen-Belsen s’est empiré de jour en jour.

Le désespoir a grandi, les baraques sont devenus plus froides, ouvertes au vent, sans chauffage, le matin à peine pouvions-nous nous décider à nous lever, à laver les pots émaillés et dehors, dans le vent, à nous laver dans l’eau glacée.

Nous avons dû remplacer nos chaussures tombées en loques par des semelles en bois taillés primitivement, qu’on tenait. Pourtant pour cela nous attendait une sévère punition, certains ingénieurs ou vendeurs de bois devenaient des cordonniers, à partir des cordons chapardés ou achetés sur la ration de cigarettes, avec des courroies coupées de sac à dos ; ou alors une vieille boîte de conserve garnie avec des morceaux de mauvaise couverture. Avec une couverture abîmée, on mettait ensemble aussi de pantalons. Pour celles qui avaient des chaussettes chaudes, faites des gants des pull-overs de-tricottés, ou inversement.

Combien d’entre nous n’ont plus réussi même à sortir pour le Zahl Appel, la mise en rang haïe, parce que leurs pieds et mains étaient gelés et n’ont eu ni chaussures, ni manteau.

Moi j’avais, par heureux hasard, mon manteau de fourrure, que ma concierge de rue Columbus m'a envoyé tout suite après notre départ. Il m’a servi énormément dès la première journée à cause du temps de Bergen-Belsen. Le manteau avait été ma couverture, en plus du rude plaid d'ici (et combien de fois je me suis couché en pull-over et pyjama, robe de laines et chaussures chaudes) mais aussitôt que je sortais du lit, je le renommais manteau ou robe, pour qu’à sept heure le matin je puisse sortir dans la cour et emporter à travers les grands trous d’eau vers les latrines se trouvant à 100 mètre, le mauvais pot qu’on avait fait d’un pot de marmelade que remplissait notre famille vers ce qu’on appela W sans C.

Ma petite fille, Suzanne, dans un moment d’inspiration, a versifié pour le plaisir de notre baraque :
Petit pot, grand pot,
Notre petit boîte
Dans lequel fait pipi
Chaque
nuit la fillette.
Dans notre baraque, nous avions 60 enfants, les couches séchaient, les pots utilisés, dégoulinaient, s’écoulaient... puisque notre alimentation était surtout liquide, puis un grand rien, pourtant on ne buvait presque pas d’eau.

Il fallait commencer la nuit très tôt, il n’y avait presque pas de lampe. A partir de novembre on laissa de la lumière jusqu’à 10 heure, mais dans chaque baraque il n’y avait que deux ampoules, le reste de la baraque était dans l’obscurité et, en plus, à cause des alertes de plus en plus fréquentes et quelques fois pour d’autres raisons aussi, très souvent mêmes celles-ci n’étaient pas allumées.

Notre promenade principale était les latrines où l’on se raccompagnait l’un l’autre. Pendant les alertes et les pluies les vêtements lavés, il fallait se dépêcher, les reprendre du fil à l’air libre, si on oubliait le fil dehors, ils disparaissaient. C’était une catastrophe supplémentaire. On le mettait donc pour sécher au-dessus de notre lit si le toit au-dessus du lit en haut était troué.

Plus tard, il n’y avait plus jamais des bas secs sur nos pieds, nos habits moisissaient dans la valise, partout.

Notre pain distribué une fois par semaine disparaissait, la petite portion de beurre, de fromage ou portion de marmelade aussi, à cause de affamés sans scrupule. Ceux qui étaient attrapés quelquefois étaient punis, enfermés seuls en bunker.

C’est encore miraculeux, qu’à côté toute cette misère, de ce doute, de ce désespoir, nous avons essayé quand même de créer miraculeusement une atmosphère gaie dans certaines baraques. Chez nous par exemple nous faisions chanter ceux qui avaient des voix plus agréables, des chansons populaires hongroises, des airs d’opéra, mais surtout des chants yiddish et hébreu. On les écoutait, couchées dans le noir dans notre lit, en écourtant ainsi nos nuits horriblement longues ; deux fois, on a écrit des « journaux vivants ».

A. Zsolt, P. Klein, George Kovàcs et d’autres ont participé avec leur œuvre et leur spectacle. La gentille amie d’Anne, l'actrice Élisabeth Palotai récitait des vers, Ernster, chanteur d’opéra et Hanna Brand, la cousine de ma bru, chantaient des airs d’opéra.

Les baraques se trouvaient côte à côte, mais par cet horrible temps, dans l’obscurité, entre des flaques d’eau en tâtonnant dans le noir, elles paraissaient extrêmement lointaines et à cause de cela quelquefois les artistes invités ont décommandé leurs spectacles.

Le matin, la deuxième route me menait chez Emil dans la baraque voisine, la plupart de temps il restait couché sur le lit, devenant de plus en plus maigre. J’ai préparé de l’eau pour que mon mari se lave et tout, je l’aidais à faire sa toilette, je portais le petit déjeuner dans une gamelle à partir de deux endroits différents, (le mien devant notre baraque), je sortais. En utilisant nos bons nous prenions le petit-déjeuner ensemble. On étalait la marmelade très mince sur le pain mince, on buvait une gorgée de liquide noir et amer nommé café et on le sucrait avec le pain. De ce liquide noir, nous avons reçu un peu plus de temps en temps, avec grande « protection », ce qui nous permettait de nous laver dans l’eau chaud quelquefois. Il y avait énormément de furoncles à guérir, l’absence des vitamines montrait ses dents.

Quelques nouvelles ou fausses nouvelles ont réussi à s’infiltrer (par exemple nous avions déjà entendu que Budapest était tombé en novembre 1944, quand en réalité c’était seulement en février 1945 que le côté Buda a été prise aussi).

L’on se disait déjà que nous allons mourir lentement, affamés, dans une faiblesse terminale ou pourchassés par les allemands « ruchwart konzentrierung », ou alors oubliés là et tués pendant le bombardement, ou peut-être victime des Allemands qui viendraient nous tuer avec fureur, etc. Ses fantaisies funestes ont tombé sur un terrain propice hélas et nous les imaginions possibles. Nous croyions à toutes les choses horribles qui arrivaient les uns après les autres.

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